Malgré des résultats en dents de scie, l’entraîneur de Nice, qui va devoir composer avec de nouveaux patrons, a fait son nid chez les Aiglons. Grâce à son sens du dialogue et une grande finesse.


Si on avait pu poser la question à Mario Balotelli, peut-être jouerait-il la mouche dans le lait. Sans doute. À cette éventuelle exception près, Patrick Vieira fait l’unanimité au Gym six mois après son arrivée. Julien Fournier, le futur ex-directeur général du club, n’hésite d’ailleurs pas à s’enflammer : « En vingt ans de football, je n’ai jamais vu un entraîneur réussir à faire l’unanimité sur le plan humain aussi rapidement. » Tous séduits. Le début de saison compliqué, les victoires à l’arraché et le titre de pire attaque de L1 à la trêve (13 buts marqués), rien de tout cela n’a entamé le crédit de celui qui prônait des principes à la Guardiola en début de saison (possession, jeu haut, jeu de passes, etc.) et doit se contenter d’un « bilan moyen » comme il le reconnaît lui-même. À Nice, on lui trouve des circonstances atténuantes. « On n’a pas pu engager le meneur qu’on cherchait cet été, admet Fournier. Et, quand vous ajoutez l’absence de Maolida et la méforme de Mario (NDLR : Balotelli), c’est trop pour un club comme Nice. Il y a des manques qui nous pénalisent aujourd’hui. » Ce qui pourrait se prolonger lors de la seconde partie de la saison si les actionnaires majoritaires n’acceptaient pas d’investir dans des renforts lors du mercato. « Mais ça lui permet également de se gratter la tête pour trouver des solutions, et c’est aussi formateur », répond sous forme de pirouette le même Fournier. L’entraîneur adjoint Frédéric Gioria prend la défense du champion du monde 98 : « J’en ai connu des entraîneurs qui prônaient le beau jeu ! Dans les discours, tout le monde s’en réclame, mais lui applique la méthodologie au quotidien pour y parvenir. Ce ne sont pas que des mots, que de belles intentions... »

« ON ÉTAIT IMPRESSIONNÉS »


Même la réalité des chiffres ne vient pas troubler le raisonnement du coach adjoint. « C’est dommage que ces résultats moyens cachent en partie le travail effectué, poursuit Gioria. Nice possède un effectif très jeune, auquel il manque deux ou trois joueurs pour réussir ce qu’il souhaite mettre en place. Dans le jeu, ce n’est pas toujours suffisant, tout le monde en est conscient, mais on a pris les points qu’il fallait pour travailler sereinement. » Passé l’emballement médiatique de son retour en France l’été dernier, on l’attendait au tournant, une situation identique à ce que son ancien coéquipier Thierry Henry vit aujourd’hui à quelques kilomètres de là, à Monaco. « On était forcément impressionnés, se souvient Wylan Cyprien. Vieira, un champion du monde ! J’ai découvert quelqu’un de très simple, très humble, toujours calme. On a dû le voir énervé une fois, et encore... Pourtant, il en a eu l’occasion ! Je pense à la défaite à domicile contre Dijon (0-4, le 25 août). Après une telle claque, il est resté serein et cela a déteint sur le groupe. » Le journaliste William Humberset suit le Gym pour Nice-Matin : « Le résultat ne semble pas avoir de prise sur lui. Que Nice ait gagné ou perdu, il reste le même, attentif aux questions des médias, ne les ignorant pas. J’ai l’impression qu’il avait anticipé les difficultés, d’où sa sérénité quand l’équipe est entrée dans le dur. Il savait qu’on pouvait douter de lui à ce poste, il s’y était préparé. » Julien Fournier ne regrette pas d’avoir tenté le pari Vieira. « Dans ces difficultés, il exprime toutes les qualités pour lesquelles on l’a choisi : professionnalisme, charisme, clairvoyance. J’étais persuadé qu’il avait tout pour devenir un grand entraîneur, et je le suis encore davantage. »

 

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LE SENS DE L’ADAPTATION


Clairement, l’ancien Gunner a brillamment réussi la transition entre le terrain et la pelouse. « Le plus difficile était sans doute qu’il oublie qu’il a été un grand joueur, poursuit Fournier. Cet été, on parlait du champion du monde, aujourd’hui, on parle de l’entraîneur de Nice. Peu à peu, l’image du footballeur s’efface, d’autant plus que Patrick est crédible dans son rôle. » Il est totalement focus sur ses nouvelles fonctions, au point que Cyprien précise : « Dans les discussions, jamais il ne fait allusion à ce qu’il a vécu, ce qu’il a été. Il a mis de côté sa carrière. » Il a tiré de ses années dorées sur le terrain un instinct qui lui sert aujourd’hui, et de ses expériences sur un banc (chez les jeunes à Manchester City, puis au New York City FC) une analyse fiable qui lui permet de trancher au besoin. Entre la gifle dijonnaise et la victoire à Lyon (0-1), six jours plus tard, Vieira a remplacé Yoann Cardinale par Walter Benitez dans le but et est passé à une défense à trois pour soulager Dante. « Il n’a pas changé ses principes, mais a réagi par rapport à son effectif, explique Gioria. Il aimerait évoluer en 4-3-3 avec des joueurs qui rentrent à l’intérieur, mais on ne dispose pas de ces hommes-là. Il s’est donc adapté. Avec Lionel (Letizi, l’entraîneur des gardiens), on lui a donné les billes, les infos sur les joueurs, il a ensuite fait son analyse, a rectifié certaines choses qu’il croyait envisageables. C’est un entraîneur qui est toujours en action, qui n’aime pas subir. »

« L’IDÉE DE JUSTICE EST ESSENTIELLE »

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« En début de saison, il cherchait, ajoute Cyprien. Il n’est pas resté figé dans un système. Et surtout, il a concerné tout le monde. Dans un vestiaire, l’idée de justice est essentielle : celui qui travaille bien est récompensé. » La gestion de Balotelli en est la meilleure illustration. Lucien Favre rechignait à gérer l’Italien – ses adjoints s’en chargeaient –, Patrick Vieira, lui, n’a pas délégué et s’est astreint à puiser dans son trousseau afin de trouver la bonne clé. La relation entre les deux anciens coéquipiers de l’Inter Milan est le fil rouge du passionnant documentaire d’Intérieur Sport sur Canal+ qui plonge à l’intérieur du vestiaire niçois. On y voit l’entraîneur user de tous les tons pour récupérer un joueur en méforme qui se voyait sans doute ailleurs. « Je ne suis pas l’entraîneur de Mario Balotelli mais celui de Nice », lâche calmement Viera à un joueur furieux d’avoir été sorti. « Avec Mario, ç’a parfois été compliqué, reconnaît Cyprien. Mais ça l’aurait été avec n’importe quel coach. Il y a eu de l’incompréhension, des conflits, mais avec le coach, pas avec l’homme. » Le vestiaire sait qu’il n’y aura pas de passe-droit, même pour « Balo », qui considérait Vieira comme son « grand frère » à l’Inter. « Il est à la fois très ouvert, très proche des joueurs et capable de prendre des décisions radicales, témoigne Gioria. Il a fixé un cadre que chacun doit respecter, il est intransigeant sur le plan de la discipline collective. De jeunes joueurs, qui pensaient pouvoir se la jouer un peu copains car Patrick est toujours cool et souriant, ont vite compris. » Cyprien avoue avoir été surpris : « Le cadre, la discipline, la ponctualité, la rigueur, c’est la base. Qu’il s’agisse de Balotelli ou de (Patrick) Burner, c’est pareil. » Le jeune défenseur, qu’on voit dans le doc de Canal+ rester à la porte parce qu’il est arrivé en retard à la causerie avant Lyon. « Pour moi, il incarne ce qu’est un entraîneur moderne qui a compris combien le management était important, conclut Julien Fournier. Gérer un vestiaire de trente bonshommes, c’est compliqué. Mais il se nourrit de ça. Il est comme un poisson dans l’eau. »