En neuf années de carrière de footballeur professionnel, Patrick Bruzzichessi s'est bâti une sacrée réputation de pourfendeur d'actions, quand la nuque longue il veillait au grain aux alentours des surfaces de réparation. Entre les seventies et les eighties, on pourrait en souriant évoquer cette époque comme celle des chaussettes roulées sur les chevilles et des joueurs moustachus, quand la France criait encore « Allez les Verts ! » alors que Saint-Étienne n'allait pas tarder à décliner. C'est d'ailleurs en D2 avec l'OGC Nice, à Geoffroy-Guichard, que Patrick devint le fameux " Bûcheron ", gagnant ce véritable nom de scène au détour d'un tacle spectaculaire sur l'indomptable lion camerounais Roger Milla. La légende ne dit pas si le terme " tacle aux oreilles " a été inventé ce jour-là, toujours est-il que Thierry Rolland en avait " tout à fait " profité avec " Jean-Mimi " pour analyser le geste à grands coups de ralentis sur le plateau de Téléfoot.

 

Le véritable " Monsieur Météo " du football français dans une ère pré-cryptée où la première chaîne régnait encore sur l'Hexagone, Rolland fit de Bruzzichessi le bouc émissaire d'un jeu violent que l'on commençait à récuser. "J'avais été un peu fort ", reconnaît Patrick près de 25 ans plus tard sans fierté mal placée. Il n'oublie pas non plus de nous rafraîchir la mémoire, lui n'est pourtant pas du genre à se la jouer ancien combattant : " À cette époque Nice était premier de son groupe en D2 devant Saint-Étienne, et pourtant on ne parlait que des Verts, de leur retour prochain dans l'élite. C'était comme si on n'existait pas et j'en avais vraiment marre. Alors quand en plus on est tombé en coupe contre eux, j'étais remonté comme une pendule. Sur le terrain, Milla était vraiment dur à prendre, un vrai félin, et j'ai tout simplement pété les plombs. Le tacle était très sévère, mais beaucoup plus spectaculaire que méchant. D'ailleurs, dix minutes après Milla gambadait sur le terrain comme s'il ne s'était rien passé... "

Un travail d'ébeniste

Pour tous les observateurs avisés, Bruzzi reste l'exemple type du défenseur de métier, " un homme de devoir avant tout ", insiste-t-il pour résumer sa carrière de joueur à la plus stricte expression. Partis à la pêche aux souvenirs, nous revenons bredouilles ou presque : " Je ne parle pratiquement jamais de ma carrière pro. Je ne dis pas « moi j'ai joué contre tel ou tel grand joueur », ce n'est pas mon truc. Moi, je sais ce que j'ai fait de bien et de moins bien, c'est ce qui m'importe. Je n'ai pas besoin de le faire savoir à tout le monde. " Parfois " Bûcheron " certes, notamment quand il titillait le bouillant Yougoslave Hallilhodzic qui, à bout, tenta de le frapper par derrière au détour d'un couloir de stade, mais souvent Ébéniste comme s'amusa à le dire un journaliste au sortir d'une performance de haute volée au marquage de l'Auxerrois Zarmach. Sur sa route, les Stopyra, Bellone, Cubaynes, Onnis, Pécout, Hrubech trépassaient régulièrement. Les médias n'en rajoutèrent pas plus que ça, les supporters niçois, eux, ne s'y sont pas trompés. Ils aimaient l'artiste. Bravo et respectaient le besogneux « Bruzzi ». Aujourd'hui encore sa cote de popularité est excellente sur la Promenade des Anglais. Les Niçois l'ont adopté bien qu'il s'en soit retourné dans le Var après un court passage de deux ans à Grenoble. C'était il y a dix-sept ans ! C'était Hyères ! Mais l'homme a assez de caractère pour ne pas se cacher derrière son passé. S'il marche le buste droit et la tête haute, c'est moins pour ses exploits sportifs que pour la fierté d'avoir toujours su rester fidèle à ses racines, sa famille, ses amis, ses clubs et surtout à lui-même.

Une affaire de famille

Qu'on aime ou pas le personnage, on ne reste pas indifférent. " Bruzzi ", ce n'est pas du contreplaqué tout lisse, c'est un tronc à l'écorce bien rugueuse, toujours difficile à transpercer. Il le reconnaît : « Même si avec l'âge je me suis apaisé, j'ai un caractère difficile. Je peux être une pâte comme je peux être un chien. Je ne supporte pas l'injustice, je peux m'emporter pour des choses anodines aux yeux des autres, mais importantes pour moi. Je suis entier, je fais toujours les choses à fond, je m'investis beaucoup. J'ai toujours été comme ça... » Son parcours parle pour lui. À bientôt quarante sept ans dont quarante passés sur les stades, il n'a connu que quatre clubs. Le premier à Gonfaron, son village natal où on le surnommait alors "Bruchi", marchant sur les traces de son père, Armand, artisan maçon et footballeur amateur resté fidèle aux couleurs du club local. Patrick rappelle en souriant que " chez nous on a toujours eu le football dans le sang. Mon père a toujours joué à Gonfaron et mon grand-père était, paraît-il, un très bon joueur amateur. Mais lui c'était un vagabond (rire). Il a joué à St-Cyr, Menton et Nice, les anciens du village m'en ont souvent parlé... Et quand il retourne sur la place de Gonfaron, là où sa soeur aînée, Nadine, tient aujourd'hui un salon de coiffure, il ne manque pas de se remémorer ses premiers exploits balle au pied, avant que les choses sérieuses ne commencent du côté de Nice. Sélectionné avec les minimes du Var après un test concluant passé... à Hyères, Patrick fut en effet recruté par l'OGC Nice au même titre que les Dracénois Grax et Castellino. À treize ans et demi, le voilà qui faisait ses valises pour aller décrocher la lune aux côtés des Bravo, Januzzi, Jalamion, Zambelli, Gentili et autres Buscher. Une génération dorée qui allait d'ailleurs décrocher le titre de champion de France de D3 avant de faire remonter le club en D1 en 1985, mais qui n'en oubliait pas moins de vivre sa vie. "Enfin, on essayait mais avec un formateur comme Koczur Ferry, ce n'était pas simple ", confie Bruzzi. Il enchaîne un brin nostalgique : " Quand il nous prenait à faire des conneries, il nous réveillait le lendemain à six heures du matin pour aller faire un footing. Mais bon, avec trois entraînements pas jour, on n'avait pas trop le temps de sortir. En plus, quand il avait en charge l'équipe première, le Yougoslave Markovic nous avait interdit toutes les sorties à part le mercredi après-midi. Alors là, on filait à la cité voisine des Moulins pour voir nos copines, c'était un peu chaud, mais on était une sacrée bande. On n'avait pas de soucis... " Au niveau scolaire, Patrick choisit à seize ans de tout arrêter pour se consacrer au foot. Après avoir effectué deux années de sport-études au lycée du Parc Impérial de Nice, où avec ses collègues footeux, il côtoyait entre autres futurs champions un certain Yannick Noah, il veut passer un cap au niveau sportif. Bien lui en prend puisque six mois plus tard il est intégré en D3, une étape très importante : " À l'époque il y avait de sacrées équipes à ce niveau, la Paillade de Montpellier, Menton, Albi... C'était vraiment très costaud. Intégrer cette équipe aussi jeune m'a donné une grande confiance. Et comme je faisais de bons matchs, l'entraîneur de l'équipe fanion, Léon Rossi, m'offrit une place sur le banc pour un déplacement à St-Étienne, mon tout premier avec les pros. Je m'en souviens bien, Platini jouait en face et faisait vraiment tout plus vite que les autres. Je n'avais pas joué, mais je l'avais bien observé. J'avais été saisi. Peu de joueurs depuis m'ont fait une telle impression... "

Satanés Canadairs

Son premier match en D1, le jeune Bruzzichessi le dispute à Sochaux, au marquage de Stopyra. Le second à Bastia contre Marini, Orlanducci, De Zerbi et consorts. Il ne sortira plus de l'équipe et en deviendra même, après la descente en D2, l'une des figures deproue. Trois saisons de purgatoire avec notamment ce fameux barrage malheureux contre le Racing de Lagardère, avec un match arrêté à 1-1, score, en faveur de Nice, pour cause d'intempéries, et finalement rejoué et perdu une semaine plus tard. " C'était le match retour des barrages ", se souvient-il. " Nous étions à un partout quand une pluie diluvienne s'est abattue sur le stade. Mais juste sur le stade, pas à côté ! C'était incroyable ! J'ai même déclaré ce jour-là qu'ils avaient dû faire venir des canadairs pour qu'il puisse tomber autant d'eau sur nous et rien dans les rues voisines ! En tout cas, c'est très mal tombé. Ce jour-là, le Racing avait raté trois ou quatre occasions nettes, la chance était avec nous. Quand le match a été rejoué, elle avait tourné. On est allé jusqu'en prolongations et là, à chaque fois qu'ils frappaient au but ils marquaient ! En plus, l'arbitrage avait vraiment été louche mais bon, on savait à l'époque qu'il fallait absolument faire monter un club parisien... " Nous sommes en 1984 et sous la houlette de Jean Sérafin, Nice montera l'année suivante. Grand artisan de la remontée, " Bruzzi " voit les choses se gâter lors du premier match de championnat 85-86 à Bordeaux. Dans un choc avec Battiston, il se donne une grosse entorse du genou qui l'éloigne des terrains durant trois mois. Un premier coup dur qui sera lourd de conséquences : « J'ai eu du mal à le vivre pendant car c'était la première fois que je m'arrêtais, mais également après, car ça s'est gâté pour moi à Nice. Quand j'ai repris l'équipe marchait bien et j'étais cantonné au banc. Et puis elle a moins bien marché, j'ai joué, mais je ne sentais plus la confiance du coach. Peu à peu je me suis braqué et je suis finalement parti en 87 pour Grenoble où un challenge intéressant se présentait.. "

Promesse tenue

S'il n'avait à émettre qu'un regret sur sa carrière de joueur, sûr que cette blessure a eu des conséquences. " Ma carrière aurait pu être différente sans cet épisode ", lâche-t-il. Bruzzi aura donc passé quatorze ans à l'OGC Nice. Le temps de grandir, d'apprendre, de rêver. Le temps de grandir, d'apprendre, de rêver et surtout d'épouser la femme de sa vie qui lui donnera deux enfants, Florian : 21 ans et joueur du HFC en PHB, et Cyrielle : 17 ans et sur qui il veille comme à la prunelle de ses yeux. Derrière, l'intermède grenoblois. Deux petites saisons et puis s'en va. " J'étais trop loin de chez moi ", nous dit-il en riant. Mais derrière le sourire, l'évidence est là. Et quand le président du HFC, Gérard Daziano, le contacte en 1989, il n'hésite pas une seconde à s'engager. Il s'explique sur ce choix : " Le club évoluait en D4 a un niveau correct, et avait l'ambition de progresser dans la durée. De plus, ma femme est de Toulon, moi de Gonfaron, à Hyères nous sommes à mi-chemin, c'est aussi un aspect qui a compté. " Comme joueur de l'équipe fanion tout d'abord, éducateur de jeunes ensuite avec les minimes et les 18 ans, puis entraîneur général aujourd'hui, la progression a été continue. Patrick l'évoque avec fierté et reconnaissance : " Je suis très heureux de faire ce que je fais aujourd'hui. Ce n'était pas si évident que ça car pour devenir pro j'avais arrêté l'école à 16 ans. Un jour, le président Daziano m'a dit que si je passais mes diplômes d'entraîneur, il me permettrait de travailler pour le club. Il a tenu parole ainsi que le maire, M. Ritondale. Je ne l'oublierai jamais et c'est aussi pour ça que je suis Hyérois depuis 17 ans. " Et la tentation du haut niveau ? Sa réponse est claire sur le sujet : " Quand on sort du circuit, on est oublié... J'ai eu des opportunités, mais pour l'instant, je suis très bien ici. J'ai eu la chance de beaucoup voyager grâce au football, je suis heureux d'être près de chez moi aujourd'hui, d'avoir su assurer ma reconversion et de pouvoir apporter ma pierre à l'édifice d'un club ambitieux avec l'aide précieuse de personnes de valeur comme Patrick Decugis ou Jacques Devimes. Maintenant, on ne sait pas de quoi l'avenir sera fait... " À court terme, cet avenir pourrait s'embellir d'une accession supplémentaire en CFA (le HFC est actuellement leader de son groupe en CFA 2, ndlr), là où le club vécut quelques-unes de ses plus belles années il y a encore quelques saisons. À vrai dire, le HFC aurait déjà mérité son billet la saison passée, il le sait, mais ne s'étend pas. Car s'il a accepté de nous parler d'Hyères, c'est bien vers demain que son regard se tourne.