Nous, on est Niçois. Ce club on l'aime, parce que bon, c'est le nôtre, voilà tout. Du beau jeu ? Les moins de 50 ans ne savent même pas de quoi on parle. Le classement ? C'est en partant du bas qu'on le lit. Les victoires ? Rares, précieuses, et généralement entre deux humiliations. Les recrues ? Une bonne pioche par décennie. Les joueurs de niveau mondial ? Demandez à vos pères et à vos grands pères, peut-être se souviennent-ils. La presse ? "De dangereux récidivistes" ou "Nice touche le fond" : de quoi préférer l'Officiel des Antiquaires à l'Equipe. Nous on est Niçois, et le Gym, "c'est une maladie, depuis que je suis né".



Mais voilà, il se passe un truc. Un truc auquel personne, jamais, n'aurait osé croire. Un des entraîneurs les plus expérimentés de France signe au Gym. On parle d'un projet formation, d'une équipe 2 qui gagne la Gambardella. Cette année là, Nice finit 4e et inaugure son nouveau stade. Comme si le Gym voulait défier la logique de son déclin éternellement recommencé. Et puis, Vlan ! Limassol et une mauvaise saison, "l'affaire" Grégoire, on parle de "couleuvres", du "stade de l'insécurité", de commission de discipline, avec match à huis-clos pour une demie bousculade dans un couloir et d'une nouvelle saison terne. Et oui, le supporter niçois à beau s'accrocher à sa passion, il a du mal à penser que derrière le premier pavé venu, la plage…

 

Alors, il jette le bébé avec l'eau du bain. Et comment l'en blâmer, lui qui est le plus tricard des prolos du football, nourri au Moussilou et aux longs ballons devant, lui dont le match référence, culte, est un deuxième tour retour de barrages, lui qui à appris à considérer, faute de mieux, qu'un passage réussi devant la DNCG signe la bonne marche de son club. Et puis, il y a cette avant saison, les victoires contre Naples et Galatasaray. Comme l'ombre d'un fol espoir. Et puis, il y a Hatem, ce joueur sur le fil, dont on ne sait pas de quel côté il basculera. Alors, un soir, à Troyes, alors que le parcage fêtait la victoire arrachée en terres lointaines, lorsque deux vilains buts venus de nulle part vinrent doucher une assistance au fond pas si surprise, je me souviens d'un grand type accoudé à une balustrade du stade de l'Aube : "Bah, c'est pas comme si on n'avait jamais vécu ça !" Haussement d'épaule, on replie la bâche, rideau. Le Gym c'est ça, pourquoi cela changerait ?



Pourquoi ? 3-1 à Bastia, et sans trembler. Bordeaux ? Equarrissage intégral, 6-1 et encore à cloche-pied. À St Étienne, qui devait fondre sur Paris comme la vérole sur le bas clergé, 4-1 et à 9 contre 11. À Rennes, qui s'apprêtait à prendre son élan vers l'Europe, 4-1 et au petit trot. Alors, maintenant il faudrait faire la fine bouche, bouder son plaisir, "ne pas s'enflammer", comme on le crie sur tous les toits ? Et oui, Les passagers du Titanic s'émerveillaient au soir tombant devant les gros glaçons à la dérive entraperçus ici et là ; Custer, avant de charger à Little Big Horn, échangeait des plaisanteries sur les sauvages qu'il s'apprêtait à sabrer ; Guillaume II fit frapper en septembre 1914 des médailles commémorant l'entrée des armées allemandes dans Paris, au moment même où elles se préparaient à franchir la Marne ; avant de s'élancer sur la ligne des archers gallois à Crécy, les chevaliers français ne partageaient qu'une seule inquiétude : qu'on les privât de la victoire certaine et de la gloire en faisant donner la piétaille ; et enfin, avant d'affronter Vannes en demi-finale de coupe de la Ligue, des supporters niçois achetèrent les billets pour St Denis.

 

Bon, on fait quoi alors, on attend le 0-1 à Ajaccio et on repart pour un tour ? Non, pas cette fois-ci, cette fois-ci, on s'enflamme quand même ! On crie notre joie ; on réserve nos places pour les deux finales de coupe 2016 et pour la finale de Champion's League 2017 ; on fait le siège de Charles Ehrmann pour un selfie avec Dada ; on repeint l'appart en rouge et noir ; on placarde son vieux poster Jocelyn Rico de 11 Mondial sur la porte de la cuisine ; on se repasse Jane Mass et Franck Richard en boucle ; on met son sweet M'en Bati sieu Nissart pour aller à sa réunion avec le big boss ; on utilise l'écharpe pourrie "Fier d'être Marseillais" de son abruti de beauf pour allumer la cheminée (l'hiver approche) ; on fait passer le contrôle technique à la vieille Clio blanche de Mémé pour emmener les potes faire tous les deps de l'année ; on met son Rica Lewis parce qu'à Caen ça caille ; on achète un frigo Gorenje pour stocker le champagne pour le titre ; on souscrit une complémentaire vieillesse, santé, Alzheimer, obsèques aux Mutuelles du Soleil pour remercier Mémé pour la Clio blanche ; on exhume sa chaîne Hi Fi JVC pour écouter Franck Richard à fond dans son salon rouge et noir ; on fait refaire l'électronique de bord de la Clio blanche par Takara avant de monter en caisse à Caen en écoutant Jane Mass et on fait la toupie congolaise avec Madame sur son nouveau matelas Maison de la literie. Et si le patron nous vire parce qu'il n'a pas apprécié le sweet shirt et qu'à la remarque "ce soir vous n'avez pas intérêt à être en retard" vous lui avez gueulé devant la moitié du personnel "Ce soir au stade du Ray, je vais chanter t'encourageeeeer!", avant d'entonner un "Tous à poil et on s'caresse !" avec les secrétaires de la conta, on ira trouver un job chez Crit Intérim. Et surtout, surtout, si notre sœur téléphone pour demander sur un ton vaguement inquiet, si, par hasard, on ne saurait pas ce que serait devenue l'écharpe à laquelle son abruti de mari est taaaant attaché, on lui répond : ce soiiiir je lui ai mis le feu, ce soir, je lui ai mis le feuuuuuu !



Parce qu'il n'y a rien de plus radical qu'être supporter du Gym pour l'éternité, rien, pas même Boko Haram ou le fan club Justin Bieber. Alors, assumons, jusqu'au bout.

 

"OGC Nice, onze grands garçons qui semblent surgiiiis du soleeeeeil, c'est une fêêêête, lalalalala lala lala lalalala !"