Crispant, le dossier Mario Balotelli a laissé apparaître une profonde mésentente entre les deux clubs, qui dépasse largement la simple concurrence sportive. 

 

MARSEILLE – « Maintenant, il faut travailler avec Nice, c’est le pire club pour nous... » Alors que l’accord contractuel avec Mario Balotelli semble acquis, cette confidence d’un dirigeant de l’OM, au début de l’été, résonne âprement, quelques semaines plus tard. Un fossé s’est creusé entre le président marseillais, Jacques-Henri Eyraud, et le tandem Jean-Pierre Rivère-Julien Fournier, entre deux clubs qui n’évoluent pourtant pas dans la même sphère sportive ou financière. Contrairement à la rivalité OL-OM, aux ressorts logiques, cette situation mêle ego et convictions.

UNE HISTOIRE D’HOMMES

 

Le parcours de Julien Fournier, DG de Nice âgé de quarante-quatre ans, s’avère intimement lié à l’OM, dont il est supporter depuis l’enfance. Titulaire d’un DESS en droit et économie du sport, il est embauché comme secrétaire administratif au centre de formation du club marseillais, à la fin des années 1990. Il gravit les échelons, avant de devenir le bras droit du président Pape Diouf (2005-2009). Ils seront évincés ensemble, mais pas sous la même forme. Diouf recevra un chèque conséquent de la part de la propriétaire, Margarita Louis-Dreyfus. Licencié pour faute grave, Fournier attaquera l’OM en justice, mais il perdra aux prud’hommes et en appel. Après ce départ, il concevra une vraie rancœur à l’encontre de José Anigo, qui devait partir avec eux avant de se raviser, et de Vincent Labrune, boss de 2011 à 2016. Et à l’encontre du club lui-même ?

 


Rond et diplomate, Jean-Pierre Rivère (60 ans), qui l’a relancé à l’OGC Nice à l’été 2011, mettra souvent de l’huile dans les relations entre l’OM et Nice. Proche de Labrune, Rivère ressemble au « bon flic » des séries américaines, quand Fournier assume celui du « mauvais flic », qui fait tourner la boutique sans états d’âme. Une rigidité et une efficacité qui rappellent la personnalité d'Eyraud (50 ans), mais celui-ci n’appréciera guère qu’on prolonge la comparaison. Parce qu’il rejette, déjà, l’histoire récente du club, à l’exception de Didier Deschamps, symbole de la France qui gagne. Eyraud évite toute allusion ou rapprochement avec Labrune et Diouf. En mai, Diouf raconte sur les ondes qu’il n’a pas été invité à la finale de la Ligue Europa entre l’OM et l’Atlético de Madrid (0-3), à Lyon. Une employée du club, Lucie Venet, lui écrira pour lui proposer de venir, mais Diouf, marqué par la froideur de JHE, refusera. Pour Eyraud, des personnages comme Diouf ou Fournier, trop imprégnés des codes du milieu du foot, pensent plus aux transferts qu’au reste. Pragmatique, il aura pourtant recours à un intermédiaire bien connu des deux hommes pour placer Frank Anguissa à Fulham, le sémillant William McKay.

 

 

LA BATAILLE DE LA FORMATION

 

En mai 2017, à quelques heures du match entre l’OM et Nice, conclu par une victoire marseillaise sur un but d’Évra (2-1), les dirigeants des deux clubs se retrouvent dans le salon d’un grand hôtel, sur le Vieux-Port, pour un rendez-vous de pure courtoisie. Le teint hâlé, Rivère est apprêté et souriant, comme toujours. La démarche militaire, Eyraud débarque avec un épais dossier sous le bras, où il recense toutes les irrégularités commises, selon lui, par l’OGC Nice, dans le domaine de la préformation, et concernant des jeunes pousses des Bouches-duRhône. Sans citer le club azuréen, il avait déjà laissé poindre sa résolution dans nos colonnes, en février 2017 : « Parlons des méthodes. Quand des clubs de Ligue 1 du sud de la France viennent dans la région de Marseille faire signer des contre-lettres à des familles d’enfants de dix ans pour les bloquer pendant plusieurs années alors que ces documents n’ont aucune valeur juridique, je trouve qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans le monde du foot. Et ça, nous, on ne le fera pas. Ce ne sont pas des pratiques normales. Elles sont mêmes interdites. »

 


Avec un scouting pointu à l’étranger, le modèle économique niçois repose sur un ratissage large des jeunes talents dans le Sud-Est, et la concurrence est frontale avec l’OM. Fin mars 2017, Eyraud fulminera après avoir appris qu’une grande délégation (des moins de 8 ans aux moins de 12 ans) du Burel, premier club amateur marseillais à avoir signé son fameux partenariat, a visité les installations de Nice. Depuis, il a renforcé le maillage local de l’OM, mais n’a pas été plus loin auprès des instances pour dénoncer les méthodes de Nice. Il s’est rendu compte que d’autres clubs de L 1, et non des moindres, ont ce type de pratiques chez les jeunes, certains payant des familles pour bloquer leur petit dès l’âge de dix ans. Un sujet ultra-délicat pour JHE, alors en quête d’appuis pour intégrer le conseil d’administration de la LFP, où il a été finalement élu fin 2017

 

 

BALOTELLI, LE POINT DE NON-RETOUR?

 

Au moment d’évoquer le dossier Balotelli, samedi sur Canal +, Rivère n’a toujours pas perdu le sourire, mais il semble plus jaune qu’avant. « Je n’ai pas de nouvelles de Marseille, glisse-t-il. Ils ont transmis une offre... Je communiquerai le chiffre plus tard, on comprendra pourquoi on ne peut pas se mettre d’accord sur ce chiffre. » Mijuillet, l’OM a esquissé deux propositions, par téléphone, dans le cadre de négociations : une première où Marseille aurait obtenu l’arrivée de « Super Mario » gratuitement, mais avec un prêt et une option d’achat obligatoire de 5 M€ pour l’attaquant Rémy Cabella, initialement valorisé entre 10 et 12 M€ par l’OM. Puis une indemnité de 2,5 M€ pour Balotelli, et un prêt avec option d’achat obligatoire légèrement supérieur pour Cabella.

 


Pourquoi des montants si faibles ? Car l’Italien et son agent Mino Raiola souhaitent un salaire et des primes XXL, et l’OM ne veut pas payer sur tous les tableaux. Si Marseille offre un contrat long (trois ans), le joueur devra faire des efforts. Un bail court (un plus un) ? Alors pas question pour l’OM de régler les 10 M€ d’indemnité fixés par Nice. Un billard à trois bandes qui tend tout le monde, sauf Raiola, paisible. Nice, qui a laissé couler après la venue de son joueur à la Commanderie, le 8 juillet, ne veut pas céder sur l’indemnité. « Vous avez rendu compliquée une situation très simple », a dit Fournier à Eyraud, le 15 juillet, à Moscou, en marge de la finale de la Coupe du monde. Le bras de fer n’est peut-être pas terminé

 

 


Deux mois d'escarmouches

■ Début juin Alexandre Mialhe, directeur juridique de l’OM, appelle Nice pour connaître la situation contractuelle de Mario Balotelli.
■ 14 juin Mino Raiola, l’agent de l'Italien, prévient l’OM que le joueur passera le lendemain au club. La rumeur bruisse d’une arrivée de Balotelli à l’hôtel Intercontinental, mais rien ne se passe.
■ 25 juin Raiola est aperçu à la Commanderie. Le soir, l'OM affirme vouloir boucler le dossier, dans un sens ou dans l'autre, avant le 1er juillet.
■ 2 juillet Balotelli sèche la reprise de Nice. Il ne revient que le 17 juillet.
■ 8 juillet Convié par Eyraud, l’Italien arrive à la Commanderie avec des amis et des proches de Raiola. Le président du club veut s’assurer des intentions du joueur.
■ 15 juillet À Moscou, à l’occasion de la finale de la Coupe du monde, un tête-àtête tendu a lieu entre Eyraud et un responsable de Nice.
■ 16 juillet Eyraud et Rivère, le président niçois, échangent à nouveau à propos de l’attaquant.
■ 20 juillet Lors de la présentation du défenseur Duje Caleta-Car, Andoni Zubizarreta, le directeur sportif de l’OM, revient sur ce transfert : « C’est un dossier original, pas normal. On essaye de trouver des solutions avec Nice et le joueur, on a mis sur la table toutes les pièces qu’on pouvait, pour avancer. Toutes les décisions ne nous appartiennent pas. »
■ 11 août Après la défaite de Nice contre Reims (0-1), Rivère ironise sur l’offre marseillaise : « Je n’ai pas de nouvelles, je ne sais pas ce que veut faire l’OM. Ils ont transmis une offre, mais qui était... je communiquerai les chiffres plus tard (rires). Voilà, on comprendra pourquoi on ne peut pas se mettre d’accord sur ce chiffre.