Acheté 20,5 M€ par Nice, l’attaquant danois est un personnage à part qui suscite certains doutes, malgré la grosse réputation qu’il traîne depuis plusieurs saisons et un réel talent de buteur.


On a cherché un sourire. Sur des vidéos, des photos, dans les archives, partout. Sans succès. Kasper Dolberg n’offre quasiment jamais un rictus à la foule, rarement une marque de joie de vivre, encore moins un rire franc. Le garçon dégage une froideur presque flippante, qui dit beaucoup de lui. « Kasper est un glaçon, sourit Michel Wikkelso, journaliste de sport danois. Il ne montre jamais rien. Même quand il marque un but, il ne sourit pas. Il est comme ça. D’ailleurs, nous ne savons pas grand-chose sur lui, ici, au Danemark. Quand il sort des terrains, il ne parle presque pas. Il est très timide et préfère rester tranquille. » À Amsterdam, le Danois vivait seul dans son grand appartement du centre-ville. Le garçon ne sortait pas, ou presque. Son temps libre était passé à la maison à écouter du rap danois, à jouer à la PlayStation ou à regarder des séries sur Netflix. « Son visage ressemble à celui d’une momie, explique l’ancien team manager de l’Ajax Amsterdam, David Endt. Pour beaucoup, il était une vraie énigme. J’aurais vraiment aimé travailler avec lui pour savoir ce qui se cachait derrière ce masque. J’aurais aimé savoir ce qu’il avait dans la tête. » L’envie d’une vie tranquille, loin de la lumière que peut offrir le monde du ballon. Rien d’autre. « Il est exactement le même sur les terrains, dans le vestiaire ou dans la vraie vie, dit encore Dick Sintenie, journaliste néerlandais et suiveur attentif de l’Ajax Amsterdam. Il faisait sa vie de son côté. Beaucoup de ses coéquipiers regrettaient ce côté renfermé. »

 

COURTISÉ PAR LE BARÇA ET LES DEUX MANCHESTER IL Y A DEUX ANS


À l’Ajax, Dolberg a carrément réussi à échapper au traditionnel bizutage devant le groupe. Et personne n’avait insisté pour le faire changer d’avis. Pendant les balades d’avant-match, avec l’Ajax ou la sélection nationale, il préfère souvent rester à distance, seul dans sa bulle. Jon Dahl Tomasson, le sélectionneur adjoint de la sélection danoise, s’est exprimé à son sujet dans la presse locale, avant une rencontre internationale. « On lui mettrait une nana à poil devant lui que ça ne lui ferait aucun effet. » Mais la réputation du nouvel attaquant niçois ne s’arrête pas à ses soucis émotionnels. En juin 2017, il reçoit le prix Johan-Cruyff, qui récompense le meilleur talent du Championnat hollandais, après avoir planté seize buts et offert six passes décisives, au terme de sa première année chez les pros. Un trophée qui compte et ne laisse personne indifférent. Le blondinet de dix-neuf ans impressionne les Pays-Bas, se distingue en plantant un triplé en dix-huit minutes en Eredivisie, fait baver l’Europe entière après avoir qualifié son club pour la finale de la Ligue Europa (défaite face à Manchester United, 0-2). Tout d’un coup, les comparaisons avec Zlatan, autre attaquant passé par l’Ajax, reviennent dans toutes les conversations. Comme son nom qui circule du côté du Barça et des deux clubs de Manchester, le temps d’un été. « Quand il est arrivé à l’Ajax, il était considéré comme l’un des plus grands talents du Danemark, dit encore David Endt. Il y a toujours eu une grande tradition des joueurs danois au club. Mais on a quand même été assez surpris de le voir débarquer aussi vite en équipe première. Le buteur Arkadiusz Milik venait de partir vers Naples et le coach Peter Bosz avait décidé que c’était lui qui allait jouer et le remplacer. »

 

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DOUBLÉ PAR HUNTELAAR ET TADIC


L’intéressé va saisir sa chance au bond. Sans jamais tout à fait lever certaines interrogations. « Pour l’avoir vu souvent chez les moins de 18 ans, je n’ai jamais tellement su quel était son vrai poste, poursuit Endt. Dans l’axe ? Sur un côté ? Je ne sais pas. D’ailleurs, je me posais aussi des questions sur ses prestations. Il pouvait traverser trois matches comme un fantôme, ne rien montrer, et, au quatrième, signer une prestation incroyable et mettre un but qui impressionnait tout le monde. C’était une vraie énigme. Malgré tout, il a réussi une grande première saison. » Depuis 2016, Dolberg a inscrit 45 buts toutes compétitions confondues, plus que tout autre joueur de l’Ajax. Les stats ont de quoi impressionner. Mais le départ du coach Peter Bosz vient flinguer son bel élan. Le nouveau technicien Erik ten Hag accroche moins avec le style du Danois et l’installe régulièrement sur le banc. « Ce qu’il montrait sur le terrain était parfois très médiocre, souffie Freek Jansen, journaliste pour la revue Voetbal International. Et il n’avait pas l’air toujours très concerné par les matches. Être calme et stoïque, c’est bien, mais même quand les choses tournaient mal, il semblait toujours indifférent. » Le corps n’a pas aidé à améliorer la situation. Son pied droit, ses muscles abdominaux et son genou gauche le lâchent les uns après les autres, l’éloignent des terrains plusieurs mois, et l’empêchent de se battre pour une place dans le groupe, de façon à faire changer d’avis le coach. Klaas-Jan Huntelaar et Dusan Tadic lui passent même devant dans la hiérarchie des attaquants, pendant que ses potes de promo De Ligt, Ziyech ou De Jong brillent sans lui en Ligue des champions.

 

« TEN HAG NE L’A JAMAIS VU FAIRE UN BON MATCH »


Dolberg voit tout ça de loin. Souvent des tribunes. « Les gens pensent encore qu’il a du talent, modère Dick Sintenie. Il possède une bonne technique, un bon jeu de tête, un bon pied droit, un bon pied gauche. Mais il y a des doutes sur son envie. Un attaquant doit montrer qu’il a envie de se donner, de se déchirer pour marquer des buts. Lui ne montre rien. On ne sait pas ce qu’il pense. » L’intéressé n’en dit pas plus. Mais la tête est un autre problème avancé pour expliquer son coup de moins bien depuis deux saisons. Du côté d’Amsterdam, on doute parfois de sa capacité à s’imposer dans le monde du ballon. Le garçon aurait du mal avec la pression qu’impose le milieu. « Je pense qu’il aime jouer au football, mais qu’il n’aime pas l’environnement qu’offre ce sport, dit encore David Endt. Il devrait pouvoir se concentrer et se donner à fond dans son métier, mais peut-être qu’il n’est pas prêt à ça. » Ce sera peut-être plus simple à Nice, club moins exposé médiatiquement que l’Ajax. Jusqu’au début de l’été, son agent aimait répéter dans la presse que son joueur ne bougerait pas, que c’est à l’Ajax qu’il s’imposerait. Mais la situation a changé. Et le départ vers la Côte d’Azur devenait inévitable. « Ten Hag ne l’a jamais vraiment vu faire un bon match, a expliqué le commentateur néerlandais Arno Vermeulen, sur la chaîne NOS. À ce prix-là, c’est normal qu’il l’ait laissé partir. » Le constat est dur. Pas de quoi faire sourciller Kasper Dolberg pour autant...