La cicatrice

Teint perpétuellement hâlé, capable de dégainer à tout moment un discours aseptisé avec le sourire, Jean-Pierre Rivère a le visage parfait du pacificateur, assez habile pour apaiser les relations les plus conflictuelles. Il a largement l’occasion d’éprouver cette qualité, puisque la reconstitution de son tandem avec Julien Fournier, à la tête de l’OGC Nice, ne fait pas que des heureux.

 

C’est une formidable opportunité pour les supporters du club, qui rêvaient de la vente du Gym à Ineos depuis le printemps, mais c’est une mauvaise nouvelle pour l’entraîneur Patrick Vieira, qui avait pourtant bien débuté son histoire avec les deux dirigeants. Ils étaient venus le chercher en juin 2018 à New York, et il n’ignorait pas que le projet niçois était parasité par les dissensions entre le duo et les actionnaires sino-américains. Vieira s’était quand même engagé jusqu’en 2021, en intégrant une clause dans son contrat : si Fournier et Rivère partaient, il pouvait partir à son tour. Un an plus tard, il a fait ajouter une nouvelle clause : si Fournier et Rivère revenaient, il pouvait partir… Comment expliquer un tel revirement ? Il faut remonter au 11 janvier, quand Fournier et Rivère, excédés par l’apathie des actionnaires lors du mercato et convaincus qu’ils vont dans le mur, décident de quitter le Gym dans la précipitation. Personne ne s’attendait à une telle initiative à ce moment-là, et surtout pas Vieira qui se retrouve lâché au milieu du gué, à la tête d’un chantier sportif très incertain. Il en veut alors aux deux hommes, et ce profond ressentiment ne s’est pas vraiment atténué aujourd’hui.

 

L’entraîneur a refusé de nous parler de ses relations avec ses patrons, qui n’ont pas non plus goûté la façon dont il a soutenu les actionnaires sino-américains quand la vente à Ineos a vampirisé l’actualité du club. Même si Vieira a été tenu au courant de l’entame des négociations avec le milliardaire Jim Ratcliffe, propriétaire de l’entreprise pétrochimique, le fossé s’est creusé et le technicien s’est rapproché du nouveau président, Gauthier Ganaye, qui l’a installé au centre de la gouvernance sportive.

 

Le départ de Fournier avait laissé un grand vide, et Vieira a placé ses hommes pour le combler : Gilles Grimandi, son ancien coéquipier à Arsenal, a été nommé directeur technique en mars, quand Matthieu Louis-Jean a pris la tête de la cellule de recrutement. Cette organisation n’aura pas duré longtemps, car Fournier n’a pas seulement repris ses habits de directeur général. Directeur du football de l’OGC Nice, il est l’incontournable patron sportif qui jouit de la confiance totale de Bob Ratcliffe, frère de Jim et président d’Ineos football.

Les prérogatives de Fournier vont même s’élargir bientôt car il devrait s’occuper de toutes les activités footballistiques d’Ineos, également propriétaire de Lausanne-Sport. L’influence de Vieira s’est ainsi réduite au terrain où il tient à rester le seul maître, et il doit se résoudre à perdre ses plus fidèles soutiens. Ganaye est déjà parti, l’avenir de Louis-Jean est en discussion, et depuis le retour de Fournier, le poste de directeur technique est une coquille vide. Grimandi va quitter le Gym et son départ ne fait évidemment pas plaisir à Vieira, qui échangeait beaucoup avec son ami sur ses choix sportifs. Mais l’entraîneur sait que le partage des pouvoirs avec Fournier était impossible et que cette issue était inéluctable.

 

Il vit cette situation comme une défaite mais il est fataliste et veut rester au Gym, où se mène un projet ambitieux comme on en trouve peu. Tant pis si les derniers mois ont fait naître une ambiance tendue. « Tout le monde devait se poser en pro ou anti-Fournier, dans un climat de défiance entre clans », observe un proche des concernés, dont l’image à l’extérieur a aussi évolué.

 

Vénéré par les supporters durant l’hiver car il était celui qui restait quand Fournier et Rivère abandonnaient le navire, Vieira a ensuite été perçu par les tribunes comme celui qui s’opposait au projet le plus ambitieux. Brusqué par une énergique intrusion d’ultras au centre d’entraînement, l’entraîneur n’est pas pour autant seul au monde : il échange avec Bob Ratcliffe et sa personnalité continue de séduire certains en interne, même s’il s’est aussi renfermé, comme le montrent ses relations devenues glaciales avec la presse. Il a détesté le traitement médiatique de la vente, l’a assimilé à une « déstabilisation », mais il s’est ouvert à la discussion avec Rivère et Fournier.

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La réunion a eu lieu après la fin du mercato, qui a été mené en bonne intelligence car toutes les recrues ont été validées par l’entraîneur, qui avait initié des pistes avec son équipe avant l’officialisation de la vente, le 26 août. « On a eu des divergences, notre départ a été mal pris par Patrick et on le comprend, confie Rivère. Quand on est revenus, on a pu enfin tout se dire car j’ai souhaité qu’on se dise tout pour qu’il ne reste plus de nuages. On s’est expliqués, et on peut tirer un trait sur le passé. Patrick a notre soutien total, il n’y a pas d’histoires de clans. »

 

Même si plusieurs disputes vigoureuses l’ont opposé à Vieira depuis le début de l’année, Fournier n’a jamais imaginé collaboré avec quelqu’un d’autre : « Depuis que je suis revenu, il n’y a pas un jour où on n’échange pas. Il n’y a pas de place pour les états d’âme des uns et des autres, et je m’inclus dedans. Le seul critère de jugement, c’est la compétence, et Patrick est l’entraîneur qu’il faut au club. »

Froid en affaires, le dirigeant a déjà prouvé qu’il ne laissait pas l’affect polluer son travail. La suite de la saison dira si Vieira parvient aussi à faire la part des choses.