Mardi 28 avril après-midi, le premier ministre, Edouard Philippe, a annoncé à l’Assemblée nationale qu’en raison de la crise sanitaire due au coronavirus, « la saison 2019-2020 de sports professionnels » ne pourra pas reprendre. « Notamment celle de football ».
Juste avant, le directeur du football et directeur général de l’OGC Nice, Julien Fournier, exprimait au Monde, ce mardi, son souhait d’un arrêt pur et simple de la saison en cours. Et non pas d’une reprise en juin, à huis clos, l’hypothèse jusque-là privilégiée par la Ligue de football professionnel.
Le dirigeant propose, par ailleurs, la mise en place d’une caisse de redistribution pour que les clubs qualifiés en Coupe d’Europe la saison prochaine (ce qui pourrait être le cas du sien, si les résultats de la saison en cours sont figés, et selon la méthode retenue) versent aux autres clubs une partie de leurs recettes.
Le scénario d’une reprise du championnat au mois de juin vous paraît-il tenable ?
Je trouve que ce serait une décision extrêmement précipitée et je n’y vois absolument aucun avantage. Ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue sanitaire, ni en termes d’image. Absolument aucun avantage. Souvent, les clubs mettent principalement en avant l’aspect économique pour dire qu’il faut terminer le championnat. Or, je trouve que c’est une analyse faite un peu en surface.
Pourquoi ?
Si le championnat devait reprendre dans ces conditions, il est très très peu probable que les diffuseurs, Canal+ et BeIN Sports, puissent payer l’intégralité des droits qu’ils auraient payés pour le déroulement d’un championnat normal. Le « produit » ne sera plus le même à huis clos, en enchaînant des matchs tous les trois jours.
Enfin, à part le Paris-Saint-Germain, je ne crois pas qu’il est une bêtise de dire que l’ensemble des clubs français dépendent en grande partie du trading, c’est-à-dire de la vente de joueurs. Soit pour équilibrer des comptes, soit pour avoir une capacité d’investissement sur le marché des transferts. Or, quid d’un joueur qui devait être transféré, dont le club attend une grosse indemnité de transfert et qui se retrouve blessé ?
La santé des joueurs n’est-elle pas suffisamment prise en compte, selon vous ?
Telle qu’elle est prévue pour le moment, si j’ai bien compris, la reprise des entraînements en mai se ferait par groupes de trois ou quatre joueurs. Ce n’est que plus tard, à une semaine de la reprise de la compétition, que des entraînements collectifs au complet seraient autorisés.
Sans matchs amicaux, avec une sorte de présaison un peu tronquée, il y a fort à parier qu’on ait beaucoup, beaucoup de blessés dans tous les clubs. Enchaîner tous les trois jours des matchs, après une interruption aussi longue est aussi anxiogène sur le plan psychologique, puis enchaîner par une nouvelle saison de championnat, voire par l’Euro pour les internationaux, je ne trouve pas cela sérieux.
Et qu’entendez-vous par la question de l’image ?
C’est ce qui me gêne le plus. Pour l’heure, le président de la République a dit que seules les personnes dont on pense qu’elles ont des symptômes bénéficieront de tests. Si nous, clubs de football, nous mettions à tester nos joueurs tous les deux jours, comment l’expliquer aux milliers de soignants ? Comme expliquer que des footballeurs passent en priorité par rapport au personnel soignant, au personnel de caisse dans les supermarchés, toutes ces professions, et j’en oublie, qui font face à la pandémie ? Je serais assez mal à l’aise. Le foot ne peut pas passer avant ces gens-là.
Votre propos est proche de celui tenu par Sylvain Kastendeuch, le coprésident du syndicat des joueurs, qui invitait, il y a une semaine dans nos colonnes, à un arrêt définitif de la saison « dans ces conditions ».
Autant je peux être critique envers cette institution, autant, là, j’ai trouvé ce texte extrêmement pertinent et juste. Mais je trouve que les joueurs, dans leur immense majorité, restent étrangement silencieux. Alors que ce seraient eux les premiers exposés sur le plan sanitaire, mais aussi sur le plan de leur image.
En cas d’arrêt définitif de la saison en cours, quelle solution mettre en œuvre pour le championnat suivant, prévu dès le mois d’août ?
Ce que j’ai déjà proposé à certains de mes collègues, ce serait de mettre en place une forme de caisse de redistribution. Si le championnat devait ne pas aller à son terme cette saison, les clubs qui auraient la chance et un peu le mérite d’être qualifiés en Coupe d’Europe pour la saison prochaine [ce qui pourrait être le cas de Nice, sur la base des résultats figés à la dernière journée de championnat disputée] ne mériteraient pas à 100 % de toucher les droits télés et les recettes des matchs de Coupe d’Europe. Cette redistribution aux autres clubs pourrait justement amortir les droits télé que ne paieraient pas Canal+ et BeIN Sports si le championnat en cours s’arrêtait définitivement.
Que les choses soient extrêmement claires. Je ne veux pas être taxé d’opportunisme par rapport à ça. Si Nice devait se qualifier pour la prochaine Coupe d’Europe, j’estime que le club ne le mériterait pas à 100 %. Aucun club ne le mériterait à 100 %. Mis à part peut-être le Paris-Saint-Germain, qui a dominé le championnat de la tête et des épaules. Est-ce que Nice resterait 6e si le championnat allait à son terme ? Pas sûr. Le club pourrait très bien finir 4e, comme il pourrait finir peut-être 9e, peut-être 12e, le championnat étant tellement serré.
Début avril, comme le président de votre club, Jean-Pierre Rivère, vous suggériez plutôt que la nouvelle saison démarre seulement au début de l’année 2021, et non au mois d’août.
Ce ne sont pas deux voix dissonantes. Peut-être que la solution de Jean-Pierre deviendra la bonne dans le futur, selon l’évolution de la situation du Covid. Mais, si la saison actuelle ne reprend pas, le décalage de la prochaine saison au mois de janvier 2021 mettrait les clubs dans une situation de trésorerie extrêmement difficile, de mon point de vue. Les droits télé qu’il reste encore à payer aux chaînes pour la saison en cours concernent les mois d’avril, de mai et de juin. Si la saison en cours s’arrête et si on ne démarre le nouveau championnat qu’en 2021, il faudrait passer de trois à neuf mois sans nouveaux droits télé.
Comment expliquer qu’en Allemagne la reprise du championnat soit prévue dès le mois de mai ?
La situation est différente dans chaque pays. Il ne pourra pas y avoir de décision uniforme dans le monde du football dictée par la FIFA [Fédération internationale] ou l’UEFA [au niveau européen]. Chaque gouvernement prendra une décision en fonction de la situation, notamment selon la question du nombre de tests et de masques à disposition. Je considère que le football ne se situe ni au-dessus, ni en dessous des lois. Il n’est pas une exception à la société.