Entraîneur de Nice de janvier à juin, Didier Digard a pris du recul chez les Aiglons. Le jeune technicien a surtout donné la priorité au passage de son BEPF pour mieux revenir.

 

Sur le grand tableau, à droite de l’entrée, les noms des clubs prestigieux se succèdent, avec des dates soulignées : Juventus Turin, 17 novembre ; Real Madrid, 21 novembre ; Wolverhampton, 28 novembre ; Brentford, 16 décembre. Et d’au- tres, encore, joués un peu plus tôt dans la saison, face à Nottingham Forest, Leeds, Monaco ou encore Blackburn. Ces affi- ches offrent un somptueux programme européen. Dans ce vaste bureau, situé dans le bâtiment de la formation de l’OGC Nice, le staff bouillonne. Les ordinateurs sont branchés sur les datas, on décortique des phases de jeu, on prépare des monta- ges et d’autres murs se remplissent de nombreux noms de joueurs. Au milieu de cet open space, Didier Digard, 37 ans, monte sa séance en échan- geant avec ses collaborateurs. « C’est le top, sourit le responsable du groupe Élite niçois qui accueille, chaque semaine, une vingtaine de joueurs issus des pros et des meilleurs jeunes du centre. J’ai six coaches ou adjoints avec moi, trois analystes, trois pré- parateurs physiques et deux entraîneurs des gardiens plus une diététicienne. On a abandonné notre réserve de N3 pour faire des “amicaux de prestige”. Ça donne des matches de top qualité avec de réelles problématiques de jeu pour les joueurs mais aussi les coa- ches. On doit amener plus de réflexion, de culture tactique. La compétition est un état d’es- prit au quotidien. Je dois le cultiver tous les jours auprès des jeunes. Je m’éclate, mais avec beaucoup de travail à côté. »

 

“Je n’ai pas gambergé, la transition s’est faite naturellement. J’ai plus pris de l’avance que du retard !'' DIDIER DIGARD

 

Début juin, l’ancien milieu niçois (2010- 2015) est repassé dans l’ombre. Le successeur de Lucien Favre avait repris l’équipe de L1 très mal en point(s), le 10 janvier, pour la redresser rapidement avec 37 unités en 21 matches de Cham- pionnat et une série de quatorze rencontres de suite sans défaite toutes compétitions confondues. Mais Florent Ghisolfi, son directeur sportif, a préféré dénicher un autre coach pour l’équipe pro en la personne du plus jeune encore Italien Francesco Farioli (34 ans).

 

Un peu sonné, l’ex-capitaine de l’OGCN s’est vite relevé pour positiver avec, désormais, comme « priorité des priorités », d’obtenir son BEPF (brevet d’entraîneur professionnel de football). Ce sésame est obligatoire pour entraîner en pro, jusqu’au National, sous peine d’une amende de 25 000 euros par match dans l’élite. Digard a basculé des bancs de l’Allianz Riviera, du Vélodrome ou du Parc des Princes, pour celui des étudiants-entraîneurs. « Je n’ai pas gambergé, la transition s’est faite naturellement, estime le trentenaire. J’ai plus pris de l’avance que du retard ! Je me dis que j’ai vécu une formation accélérée de cinq mois en L1, qui a plutôt bien fonctionné et qui m’a permis d’être accepté au BEPF. Si ça s’était mal fini sportivement, ça aurait été dur à accepter. Nice est mon club, m’a donné ma chance, est venu me rechercher et je n’ai pas le droit d’être aigri. D’autant que je dois sûrement être un peu pour quelque chose dans ce qui arrive aujourd’hui (le Gym est 2e de L1 à un point du PSG). J’ai eu la chance de vivre une formation pratique avant la vraie formation. Je sais que j’ai les capacités et que je reste sur une pente ascendante. J’ai les car- touches ! Ce diplôme me permettra d’être jugé comme les autres. » Son dossier a été retenu parmi ceux de 80 candidats, dont une trentaine ont passé un entretien, pour 10 sélectionnés en avril, formant une promotion constituée d’an- ciens professionnels (Fabrice Abriel, Lilian Nalis, Bryan Bergougnoux), de techni- ciens issus du monde amateur (Fabien Pujo, à la suite du désistement de Sté- phane Nado, Patrick Videira, Grégory Poirier, Baptiste Ridira), de la formation (Jean-François Vulliez) et des féminines (Sandrine Soubeyrand). La formation du BEPF s’articule autour de treize sessions dans la saison, qui vont du lundi soir au jeudi après-midi pour finir en mai par une soutenance. Sept stages ont lieu à Clairefontaine et six sont décentralisés en club avec Nancy, Annecy, Le Havre, Lorient et Bastia. Du 13 au 16 novembre, Digard a rejoint les autres stagiaires à Rennes. La formation arrivait à mi-parcours dans les ins- tallations du club breton.

 

Alors que le jour se lève à peine, la promotion quitte un hôtel du coin pour rejoindre un salon du Roahzon Park. Franck Thi- vilier, le directeur technique national adjoint, responsable du BEPF, présente le Suédoises du BK Häcken (1-2, le 15). Ce stage accueille aussi trois entraîneurs en « recyclage » : Mickaël Landreau, Loïc Lambert et Jean-Louis Garcia. Thivilier est également accompagné de deux formateurs sur cette promotion : Francis Gillot et Jacky Bonnevay. L’ancien coach de Lens et l’ex-adjoint de Claude Puel à Saint- Étienne sont responsables, chacun, du suivi de cinq stagiaires à l’année.

 

“On ressent qu’il a envie de vite redevenir entraîneur principal'' JACKY BONNEVAY, FORMATEUR DU BEPF Ancien défenseur de Nice (1988-1991)

 

Bonnevay chaperonne Digard. « Je vais le voir cinq fois dans son club, je l’observe, je par- ticipe à tout avec lui, j’échange avec son staff dans un rôle d’observation lors des trois premières visites, décrit l’ex-entraîneur de Troyes. La quatrième visite tourne autour de ses axes principaux de travail, ce qu’il veut transmettre tactiquement. Mon dernier pas- sage est axé sur une journée complète de match. Je me fais petite souris pour le suivre partout avec un technicien qui filme sa causerie, ses interventions et son match. On tourne sur l’année entre la mise en place d’un projet de vie et de jeu qui débouchera sur un docu- ment que Didier présentera à un jury. J’ai dé- couvert quelqu’un de calme, avec une maî- trise de soi mais chez qui on sent que ça peut vite bouillonner. Quand il parle, il a un débit posé, on a envie de l’écouter. Il est très sérieux sans être trop interventionniste dans ce qu’il fait. Il sait déléguer. On ressent qu’il a envie de vite redevenir entraîneur principal. » Tout est bien calibré dans les entraîne- ments de l’ancien n° 1 du Gym. Ses séances avec le groupe Élite durent « soixante-trois minutes », un timing précis qui comprend les pauses boisson à la minute près. Digard tourne sur les ateliers qui sont rythmés par six adjoints « dans une grosse intensité » : « C’est la base du foot moderne, avance l’ancien milieu du PSG (2007-2008). Les joueurs font tout avec ballon. Il faut qu’ils restent dans le plaisir pour mieux acquérir les automatismes. Je suis responsable du projet de jeu du centre de formation avec son directeur Manuel Pires. On essaie d’installer une identité. Je vois tous les matches le week-end. C’est moi qui fais les groupes en redescendant par- fois jusqu’aux 16 ans. C’est un gros travail, usant, en plus de mes absences pour le BEPF. Heureusement que je maîtrise l’environnement au club. Je suis dans un confort de tra- vail exceptionnel. » Qui lui permet de vite être efficace lorsqu’il rejoint sa formation. Un « monde irréel » au côté d’Ancelotti

 

À Rennes, Digard a entamé le module de média training dispensé par le journaliste Philippe Bruet. Et a été impeccable lors de sa conférence de presse improvisée face aux questions des Thivilier, Bonnevay, Gil- lot, Garcia et Lambert. Juste avant, le DTN adjoint avait demandé aux neuf stagiaires de choisir deux cartes avec un mot sur « une force qui leur correspond » et « une autre »à présenter au groupe. Le Niçois a choisi « l’adaptabilité » et « l’aventure ». « On veut être dans l’échange tout en étant exi- geants et souples, bienveillants et fermes, avance Thivilier. Le but est de confronter les expériences. Ils viennent tous avec une his- toire et un passé. Notre rôle est qu’ils arrivent à parler d’eux, de leur projet de vie, de leur en- gagement, de leur projet de jeu et de leurs ob- jectifs au présent et au futur pour renvoyer une notion de plaisir. On essaie de libérer aussi la parole car c’est important pour ga- gner en efficacité et manager des groupes. La formation débouche sur 110 séances avec autant de retours pédagogiques. À l’échelle européenne, notre BEPF est un des plus complets. » En Bretagne, Digard a dû prépa- rer puis animer une séance avec, comme problématique, « votre équipe en 3-4-3 perd beaucoup de ballons par son jeu trop direct face à un 4-4-2 ». Ses adjoints étaient Nalis et Vulliez. Les passages sont filmés puis décryptés. Autre gros morceau de la formation, le stage à l’étranger. Grâce à Lilian Thuram, le père de Khephren, qu’il avait sous ses or- dres la saison dernière, l’ancien milieu du Betis Séville a pu aller au Real Madrid mi- septembre.

 

« J’ai basculé dans un monde irréel avec quelqu’un d’exceptionnel : Carlo Ancelotti, s’extasie le stagiaire, qui parle couramment espagnol. Il m’a ouvert toutes les portes. J’ai été impressionné par la sérénité de son management. Il a toujours un mot pour ses joueurs, sait prendre habilement la température tout en questionnant et délé- guant à son staff. Ma difficulté va être maintenant de rédiger mon rapport tellement j’ai de choses. Mais ce sera aussi ma façon de dire merci à Carlo Ancelotti. » Une autre étape nécessaire pour espérer valider le BEPF et, peut-être, rebondir rapidement sur un poste de numéro 1. À Nice ou ailleurs.

 

Marqué par « l’affaire Galtier »

 

Alors que le procès de Christophe Galtier, l’ancien entraîneur de l’OGCN lors de la saison 2021-2022, aura lieu le 15 décembre devant le tribunal correctionnel pour des chefs de « harcèlement moral » et de « discrimination », Didier Digard a été pris au cœur de cette tourmente lors de son passage sur le banc niçois. Le silence était alors assourdissant au Gym, sauf autour du jeune coach qui a été l’un des rares – le seul – à ne pas pouvoir esquiver les questions sur cette affaire, en pleine préparation du quart de finale de Ligue Europa Conférence contre le FC Bâle (2-2 ; 1-2). « C’était un truc que je ne maîtrisais pas mais j’étais en première ligne comme entraîneur, repasse-t-il, près de sept mois après. Dans cette histoire, je ne suis rien, mais sans moi, elle n’a pas de goût. Ce qui m’a fait mal, c’est que ma famille a été touchée et qu’on puisse parler de religion par rapport au sport. Ma vie privée n’a rien à faire en public. Bien sûr que certaines choses m’ont touché par ricochet. Des gens ont pris position contre moi sans rien connaître. Moi, j’ai dû protéger mes joueurs, mon club, sans me mêler d’un conflit qui ne me regardait pas. J’ai dû répondre à des “on dit que”… » Digard a quand même passé quatre heures au poste pour des auditions. Un événement qui reste marquant. « Au centre de formation, j’ai fait venir un prêtre, un imam et un rabbin, souffle le formateur des jeunes Aiglons. Des jeunes chez nous font le carême comme d’autres le ramadan. Le jugement des autres me gêne. J’ai toujours été pour le bien vivre ensemble. Et rien d’autre. » .