Interview exclusive de "Joúsé", le plus ancien supporter du Gym

 

Grâce à nos connexions dans le microcosme des supporters niçois, nous retrouvons Joúsé, dont on nous a assuré qu'il était le plus ancien passionné du Gym vivant, au fond d'une gargote dont nous tairons le nom, quelque part du côté du quai Papacino, comme il se doit. Joúsé nous jauge, barbe blanche, chemise rouge, l'oeil vif et intelligent, il porte le poids des ans, des siècles, pour ainsi dire, sur ses épaules. Avachi sur un fauteuil en bois, un curieux callot bigarré sur la tête, le cigare aux lèvres, il nous assure qu'il a "découvert le tabac dans un autre vie, sur les bords du rio de la Plata", assurément une terre de football et d'hommes de caractère, de ceux que Joúsé, toute sa vie, a aimés. Le timbre de voix est clair et l'accent chantant trahit on ne sait quoi d'italien dans les gènes. Une résolution, une malice, une volonté. Les yeux se portent sur un horizon assurément lointain, de ceux que l'on découvre en navigant autour du monde, horizon que nous n'avons hélas pas connu et qui nous aurait rendu tellement sage au moment de parler de notre amour à tous, de notre Comté, de notre ville de Nice, à jamais notre Belle, et, bien sûr, de son Gym.

 

Lou Nissart : Alors Joúsé, suivez-vous toujours l'actualité du Gym ?


Joúsé : Bien sûr, le Gym c'est comme une ancienne maîtresse avec laquelle on a longtemps fricoté. On ne se perd jamais sérieusement de vue.

 

Lou Nissart : Cela fait longtemps que vous fricotez avec le Gym, alors !


Joúsé : Vous savez, certains se donnent des airs parce qu'ils ont connu le béton de la Populaire du Ray. Mais moi, je me souviens de l'époque où cette tribune avait des gradins de bois. Je me souviens aussi des lattes de Saint Augustin et même des balustrades du terrain de la Grenouillère, du côté de ce grand pré où des illuminés s'acharnaient à faire voler des machines...

 

Stade du ray 1932

 

 Lou Nissart : Heu, l'aéroport, vous voulez dire ?


 Joúsé : Qué aéroport, Pantail ! A l'époque c'était encore l'aérodrome et les marins américains   venaient y jouer à leur football à la main lorsqu'ils faisaient relâche à Nice. Les pauvres, combiens   seront tués dans les tranchées du bois Belleau en 1918... La guerre, depuis que j'ai vu détaler les   Prussiens en 70...

 

 Lou Nissart : 1970 ?


Joúsé : Qué 1970 ? le problème, de vous, les journalistes, c'est que vous n'êtes qu'une bande de gamins qui pensez que l'histoire commence avec internet. Enfin, bref, oui, ça fait longtemps que je suis le Gym.

 

Lou Nissart : hum, bon, puisque vous suivez le Gym depuis si longtemps, avez-vous déjà été aussi excité à l'abord d'une nouvelle saison ?


Joúsé : Vous savez, avec le poids des ans, on apprend à prendre du recul. Je me souviens d'un OGCN qui partait au Brésil pour faire la démonstration du beau jeu à la Niçoise, d'un Gym 

 

Lou Nissart : La coupe des villes de foires ou la coupe latine ?

 

Joúsé : Et alors, la coupe d'Europe, c'est Messi qui l'a inventée peut-être ? C'est pas parce que tu rajoute Tel Aviv ou Trucanboispor que tu as une meilleure coupe d'Europe, non ? Je disais... Ah oui, et plus de 100 000 spectateurs à Chamartín devant le Réal. Tu vérifieras ce que c'est Chamartín... Un stade où, hélas pour les Aiglons, la mi-temps pouvait durer 53 minutes ! J'ai connu le Gym avec Domingo, le plus grand gardien du monde, Amalfi, la première vedette de l'histoire du football ou avec un onze d'internationaux allant gifler Saint Etienne dans le Forez. Saint Etienne, tu sais, c'était avant leur Ohème et leur PSG !

 

amalfi

 

Lou Nissart : Du coup, INEOS, Dolberg ?


Joúsé : Bah, tu sais, des présidents j'en ai vu, j'ai connu Mac Mahon et Jules Grévy !

 

Lou Nissart : Mac Court et Jules qui ?


Joúsé : Oh, Ciapacan, on t'a appris quoi à l'école ?! Revenons au Gym. J'ai connu des maires, des entrepreneurs locaux sympathiques et dévoués, des Chinois, un Américain, un pianiste serbe de Miami et même une bande de forains, des voyous, des affairistes, des braves types, des politicards. Alors un Anglais qui cherche à échapper au fisc et a dissoudre son image de pollueur de la planète dans le football... J'ai même connu un Italien, un Romain... Ah, Rome, je me suis battu pour cette ville, j'ai même failli prendre un coup de chassepot...

 

Lou Nissart : De Chasse quoi ? Vous étiez en parcage visiteur contre la Lazio ?


Joúsé : En quelque sorte, disons que le déplacement était fortement militarisé... Bref, j'ai connu un Romain qui avait fait le tour des tribunes au Ray sous les vivas de la foule. On aurait dit Ben Hur ! La même foule qui, quelques mois plus tard, a fait passer l'emblème du club à travers les fenêtres... du club. Ayons d'ailleurs au passage une pensée émue pour une certaine cabine téléphonique...

 

francosensi 2

 

Lou Nissart : On a parfois du mal à vous suivre, disons que vous ne vous emballez pas pour le moment, c'est ça ?


Joúsé : Disons que si j'avais dû mettre une lire ou un franc germinal dans une tirelire à chaque fois que l'on m'a trahi, c'est moi qui serais le proprio de votre canard et qui vous aurais directement renvoyés sur les bancs de l'école. Enfin, tout ça c'est le passé. Hélas, les hommes apprennent généralement peu du passé. Mais bon, vous devez penser que je suis une sorte de vieux schnock pessimiste de nature... Mais c'est pas si vrai que ça, l'autre jour, j'ai regardé le petit jeune sur l'Equipe 21, le blondinet, boucles d'or que je l'ai surnommé. Bon, il en a pas des boucles et puis on dirait plutôt Borg de dos. Vaï que lui, il va en rendre fous des défenseurs... Tu vois, le vieux schnock, il est à la page, il a la fibre !

 

Lou Nissart : Mes parents m'on appris à respecter les anciens.


Joúsé : Vé Jouvé, enfin un bon point pour toi ! Té, je crois que tu commences à me fatiguer, Nistoun ! dolberg

 

Joúsé referme les yeux. Il s'endort placidement sur sa chaise. Nous jugeons bon de nous retirer, quelque peu déstabilisés par le bonhomme. Le patron a suivi l'interview d'un oeil amusé. Nous lui demandons : "mais il quel âge votre Joúsé ?" Le patron, torchon sur l'épaule et cigarette au bec, nous regarde avec amusement. "Notre Joúsé n'a pas vraiment d'âge, il est un peu comme l'âme du Comté. Ca se perd dans la nuit des temps. Certains disent qu'il est né en 1807... Pas impossible, mais ce mec-là mériterait bien plus qu'une statue à Nice. ¨Parce que si l'on se penche sur sa vie, il nous apprends la plus importante des choses : comment être Niçois ! Parce qu'il fut un homme, rien de plus, mais un homme dans toute l'acception sublime du terme. Un homme de la liberté, un homme de l'Humanité, Vir dirait son compatriote Virgile. Et ça, c''est pas moi qui le dit c'est Victor Hugo". "Victor qui ?". Le patron nous chasse à coups de chaise. Nous jurerions que Joúsé ricanait dans sa barbe, là-bas, au fond du bar..