La langue française est connue pour sa richesse mais aussi sa complexité. De richesse elle semble parfois manquer, au point que deux mots puissent avoir un sens opposé ; de complexité, elle manque par contre rarement.

 

Allez, prenons un exemple : le verbe « gâter ». Curieux mot à vrai dire. « Gâter » qui peut signifier « couvrir de cadeau », voire « combler », ou « gâcher », « compromettre », « abimer ».

 

Mais où donc veut-il en venir ?

 

Le Gym manque de richesse – il est loin le temps des « milliardaires de la Côte » – mais la situation y manque rarement de complexité. Tenez, prenons la situation actuelle, à la veille de sa 51e saison parmi l’élite du foot français. Le supporter niçois doit-il se considérer comme « gâté » ou doit-il s’inquiéter de voir son cher club se « gâter » ?

 

Tiens, 50 saisons d’élite. C’est joli. Tout le monde ne peut pas en dire autant ! Le grand Lyon ne fait pas mieux, Nantes ou le PSG font même moins bien. Pourtant, sans que cela ait été réellement remarqué, l’OGCN vient de traverser un demi-siècle, 50 ans précisément, sans titre de champion. C’est long. Long comme une intersaison sans recrue majeure, long comme une demi-saison 2009 sans fierté, long comme le feuilleton Rémy, long comme quatre ans de 4-3-3 sans meneur de jeu. Long comme sept années sans autres ambitions que le maintien. Long pour la cinquième ville de France, la capitale mondialement connue de la French Riviera. Long pour un des clubs les plus titrés de l’Hexagone. Long.

 

Prenons le supporter type A, dont nous préservons l’anonymat. Il se dit que « ça se gâte au club ». D’ailleurs, il n’a pas repris son abonnement. Il s’est même juré après un Monaco-Nice de parodie, un Nice-Vannes guignolesque, un Nice-OM bouffon et un Nice-Le Havre ubuesque où les dindons de la farce ont chanté le nom d’un des artisans du désastre sur l’air des lampions, qu’il ne mettrait plus les pieds au stade avant un bon moment.

 

Mais on peut le comprendre. On lui avait promis d’abord le maintien. Logique. Recrutement dans les halls d’aéroports, joueurs de D2 ou de D3 allemande. Et puis, on avait décidé de passer la surmultipliée, on parlait d’Europe, de plans de 3 ans, de « pointures ». On lui avait promis un centre d’entraînement, une « cellule de recrutement », un stade, un autre stade et encore un autre stade, à chaque fois plus beau, plus grand.

 

Et puis, on lui a finalement dit, coach comme dirigeants du reste, que l’Europe, c’était « dangereux ». On lui a dit qu’on était un petit club. On lui a dit que le stade, qui aurait dû voir le jour l’an dernier, sera pour 2013… S’il voyait le jour… Que le centre d’entraînement sera construit… plus tard. Et puis, il sait compter. Il sait que Nice n’a jamais généré autant d’argent, il sait que les reventes de joueurs ont rapporté un pactole à deux chiffres dont aucun dirigeant n’a plus disposé depuis tant d’années. Et il lit par ailleurs, que 2 ou 3 millions d’euros pour un Rothen ou un Mounier, c’est trop cher, que même Le Mans possède un budget prévisionnel supérieur à Nice.

 

Il se dit surtout que le Gym entame sa huitième année d’affilée parmi l’élite avec le même stade obsolète, les mêmes installations, dignes d’une D2 turque, qu’il y a huit ans. Et surtout avec le même discours. Alors il se sent las, très las. Sa seule consolation est de sentir la contestation monter depuis les gradins de la Sud. De se dire qu’il n’est pas tout seul à se sentir infiniment las de la politique de gagne-petit, d’épiciers de quartier de MM Governatori et Stellardo, que la communication, essentiellement maladroite, de M . Cohen ne parvenait pas à occulter.

 

Prenons le supporter B, dont nous préservons aussi l’anonymat. B se souvient lorsqu’il a commencé à soutenir le Gym. Il n’était pas gâté. Nice n’était pas seulement un tout petit club. L’OGCN était tout simplement ridicule. Lorsqu’il prenait son écharpe pour aller au Ray, il la planquait sous sa veste, de peur de croiser un voisin dans l’ascenseur. Supporter le Gym ne s’avouait pas facilement. Autour de lui, on n’avait d’yeux que pour l’OM de Tapie. Et puis, c’était roustes, déconvenues, branlées, descentes, relégations. Un chemin de croix. Il se souvient d’un stade vide. 5 000 personnes au stade, c’était la grosse affluence, même en D1. Il se souvient des Nice-Bourges, des Nice-Valence devant 843 pékins. À la mi-temps, « on tournait » pour voir les buts. Ou plutôt les occasions ratées par les Rubenilson, Grassi, Vassalo, Regtop et compagnie. On se réfugiait à l’abri de « la » tribune en cas de pluie. Il se souvient des humiliations répétées, des 7 buts encaissés à Nantes, à Châteauroux, des 4 pions en une prolongation chez des banlieusards lyonnais de CFA, du 0-3 à domicile contre Cannes. Il se souvient des présidents-agents de joueurs ou des présidents-forains. Il se souvient surtout des étés 1991 et 2002, de la DNCG. Des deux morts cliniques du Gym en 15 ans.

 

Il sait qu’aujourd’hui on passe difficilement sous la barre des 10 000 accrocs au Ray. Lorsqu’il « monte », il met fièrement son maillot rouge et noir. Lorsque les Bleus jouent, il espère apercevoir Loïc Rémy sur la pelouse, un Aiglon tout de bleu vêtu. Depuis quand n’avait on pas proposé plus de 15 M d’euros (plus de 100 millions de francs !!) pour un Aiglon ? Lorsqu’il amène un pote de passage dans son Ray, il est fier de lui dire : « écoute nos supporters, ils sont parmi les plus bruyants de France ». Et puis, n’a-t-on pas cessé de présenter le Gym comme un prétendant à la relégation ? N’y a-t-il pas longtemps désormais qu’il ne coche plus avec angoisse sur son agenda le jour du passage devant la DNCG ? Alors B pense à ses voisins et rivaux Cannois ou Toulonnais, repense à ses débuts de supporters et se dit que finalement, il est « gâté ».

 

C’est un peu la parabole du verre à moitié plein ou à moitié vide. Qui a raison ? Qui a tort ? A ou B ? Et si nous étions tous un peu ce A et ce B ? Ce qui est sûr, c’est que le Gym une fois de plus repart la fleur au fusil. Sans stade, sans centre d’entraînement, avec un nouveau staff, et des promesses plein les coulisses. Parole, parole e parole ! Toujours des paroles !

 

Mais à Saint-Étienne samedi soir, B sera dans le secteur Niçois. Et il ne sera pas seul. Avec lui, l’espérance du peuple rouge et noir… Et il n’en faudra pas beaucoup pour que B le rejoigne la semaine prochaine au Ray, pour Nice-Rennes. Parce que le Gym est à l’image de ses supporters,

 

un enfant gâté.