La foule et le Vilain petit canard

On la connaît depuis longtemps. Elle criait « Barabas ! » devant les marches de la basilique de Jérusalem ; elle criait « à mort ! » lorsque l’Église brûla Giordano Bruno qui osa évoquer l’infinitude de l’univers ; elle hurlait sur les grands boulevards et dans les gares son enthousiasme en août 1914 et sa haine à Nuremberg dans les années 1930. Dans son étude historique classique consacrée à La peur en Occident, Jean Delumeau notait : « Les caractères fondamentaux de la psychologie d’une foule sont son influençabilité, le caractère absolu de ses jugements, la rapidité des contagions qui la traversent, l’affaiblissement ou la perte de l’esprit critique, la diminution ou la disparition du sens de la responsabilité personnelle, son aptitude à passer soudain de l’horreur à l’enthousiasme et des acclamations aux menaces de mort ». En 1842, Andersen écrivait le Vilain petit canard, fable morale autobiographique. Là, le poète montre combien, lorsque l’on ne correspond pas physiquement ou dans son comportement à certains stéréotypes, la foule peut se montrer cruelle, sans pitié.

Là, vous me voyez venir avec mes gros sabots. Et vous avez raison !

 

Le football est un sport de masse. Un sport populaire. C’est ce qui fait son charme. La vox populi y règne en maîtresse absolue. Elle juge, elle adule, porte au firmament ou condamne, s’acharne et tue. C’est la loi d’un sport populaire et surmédiatisé, d’un théâtre d’apparences où les gens sont rarement jugés sur ce qu’ils sont mais sur ce qu’ils savent montrer d’eux-mêmes. Et lorsque l’on gagne des fortunes en jouant ou en faisant jouer au ballon, ma foi, il faut l’accepter !

 

Mais l’acharnement d’une foule est une chose parfois troublante, dérangeante. Surtout lorsque l’on sait qu’il n’y a au fond rien de plus facile que de faire crier une foule dans le sens du vent. Il suffit de quelques personnes bien introduites qui savent crier haut et fort, de quelques rumeurs savamment répandues – et à l’âge d’internet la rumeur circule très viiiiiiiite ! – de quelques personnes « bien intentionnées » et l’affaire est dans le sac ! L’acharnement d’une foule est bien laid lorsqu’il s’abat sur une personne seule. Sur le Vilain petit canard.

 

La foule a déjà œuvré dans le passé récent. Elle a crié RAUS à Gernot Rohr, qui avait un bilan exceptionnel en termes de points gagnés rapportés à une enveloppe recrutement aussi épaisse qu’une feuille de papier OCB. Le crime de Rohr ? Officiellement, l’équipe ne proposait pas un jeu assez « spectaculaire ». Pourtant elle marquait plus de buts en moyenne que sous l’ère Antonetti. Et depuis l’équipe coachée par Bjeko, on n’avait pas franchement vu de jeu au Ray. Mais là, alors que, comme par hasard, les coulisses recommençaient à bruisser de rumeurs, soudainement, alors que l’équipe, à la trêve possédait la seconde meilleure attaque et était huitième, soudainement donc, urgemment même, il fallait « du jeu », le spectacle était devenu indigne (pourtant avec plus de 11 500 spectateurs de moyenne on était largement plus nombreux au stade qu’on le fut l’an dernier !). Bref, le destin de Rohr était scellé, l’équipe fut certes plus offensive, mais la défense prit l’eau et finit par sombrer. « Raus le Boche », « on est entre Niçois » !

 

Puis la foule scanda le nom d’Antonetti pendant 4 ans, qu’il pleuve, qu’il neige qu’il vente. Bel exemple de solidarité. Voici un démenti cinglant à Delumeau qui insistait sur la versatilité des foules ! Huitième place et une finale – certes de la « coupe à Moustache », certes perdues face à « l’ogre nancéen », mais une finale quand même ! – voilà qui méritait assurément la juste reconnaissance populaire (On se demandera juste pourquoi une telle reconnaissance, dès l’origine, ne s’attacha JAMAIS à son prédécesseur !). Puis l’adulation devint disproportionnée et même pathétique lorsque la foule réitéra son adoration quand le meilleur effectif du Gym depuis 20 ans (Fanni, Vahirua, Balmont, Bellion, Koné et Lloris… Excusez du peu !) finit 16e en étant relégable une grande partie de la saison. La vénération devint enfin ridicule lorsqu’après un match non joué à Monaco, une humiliation contre Vannes, une capitulation sans combattre plus que suspecte devant les 17 000 spectateurs médusés du Ray face à l’OM, le Gym arrêta tout simplement de jouer au football, et son entraîneur commença à rechercher un club à la mesure de ses ambitions. Stade vidé, équipe à l’abandon, humiliation dans les derbies où traditionnellement s’exprimaient des valeurs de combattivité – où étaient passés les guerriers du 4-3 du Louis II, ou ceux qui ne laissaient que des miettes à l’ennemi marseillais au Ray ? On entendait encore pourtant la foule scander le nom de son berger et promettre la fin du monde après son départ.

De fin du monde il fut presque question. Il est dur, dans un club en crise (démission du président, renouvellement intégral du staff, recrutement approximatif) de rebondir, surtout lorsque l’équipe n’a plus joué au foot depuis décembre 2008. Et les Paco Rabanne se sont multipliés pour annoncer la catastrophe avec application et jubilation. L’inquiétude était légitime. Le Gym était même redevenu Crystal Palace l’espace d’une entame de championnat plus que périlleuse scandée par quelques fessées mémorables. Oui, mais voilà, contre Monaco déjà, puis face à Valenciennes on avait entrevu les prémisses de la révolte. Celle qui emporta Lyon et Paris. Alors pourquoi tant de haine ?

 

Parce que DON est le Vilain petit canard idéal. Il est humble et reconnaît ses erreurs. Il a prouvé ce qu’il savait faire en L2 et en National seulement. Il n’a pas de carrière de joueur derrière lui. Il est nouveau. Il ne parle pas pour ne rien dire. Sur le banc il donne ses consignes au compte-gouttes. Devant les caméras il n’enguirlande personne. Et lorsqu’il descend aux vestiaires, les murs ne tremblent pas. Il choisit ses mots. L’homme manque de faconde, de rondeur, d’exubérance. Il n’est pas méditerranéen pour deux sous. C’est un sensible, un humble, un homme du dedans. Un Blanc, plus qu’un Fernandez, un Courbis ou un Antonetti.

 

Un vilain petit canard. Il est le petit nouveau de la classe. Celui sur qui on tombe dessus dès la rentrée parce qu’il a des qualités, mais ne se défend pas avec virulence. Une vraie tête de Turc. Parce que lorsque l’on a été déçu par son idole passée, il faut bien le faire payer à quelqu’un. La foule a son os. Elle peut ronger.
Et elle ronge encore. On entend des rumeurs hallucinantes. DON ne déciderait de rien, l’équipe serait en « autogestion », les résultats récents proviendraient de la seule « réussite » (dont le manque tout aussi flagrant dans les premiers matchs, a contrario n’a, bien sûr, joué aucun rôle !), j’en passe et des meilleures. Gare à la vindicte populaire si par malheur les résultats à venir étaient à la baisse ! Elle sera impitoyable, d’autant plus impitoyable que les Paco Rabanne de malheur tiendraient leur revanche.

 

Je ne sais pas si le Vilain petit canard se transformera un jour en grand cygne, ni même s’il est au fond taillé pour naviguer sur de bien grands fleuves. Mais de grâce, arrêtons de tirer sur lui au bazooka dès que l’occasion se présente (et elle se représentera !). Ne l’adulons pas jusqu’à sombrer dans le ridicule non plus, on a déjà donné. Jugeons-le sur son bilan, jugeons-le plus tard. Et en attendant, s’il vous plaît…

 

FOUTONS-LUI LA PAIX !