Nous avions fait un rêve

L’autre soir contre Auxerre, sur le but des Autres, j’ai eu comme une vague crampe d’estomac. Pas vous ? Ca a fait mal, là bas, au fond, dans le dedans. Je me suis dit, « on n’est pas bon ». Et puis, j’ai repensé à la barre de Couly, qui s’est interposée entre tout un peuple et un grand moment de soulagement et de bonheur, à cet ahuri qui ne lève son drapeau que lorsqu’il ne le faut pas. J’ai vu les rouges et noirs, le regard vague, perdu, la tête entre les mains, l’air hagard. Et puis j’ai vu l’autre ex-briseur de jambes patenté de Fernandez qui, non content d’avoir été au Gym le pire entraîneur de ces dernières années, nous avait traîné dans la boue avant de s’enfuir, courant comme un cabri sur la touche, gesticulant de joie. Alors, oui, j’ai eu comme une crampe à l’estomac.

 

Le Ray, vide, désert, sinistre. Triste. Des supporters qui ne chantent plus, si ce n’est un kop Nord qui, malgré sa vaillance, a vu ses braillements renvoyés par une coquille vide, sonner comme autant de cris d’agonie.

 

Mais que c’est triste un stade vide. Mais que c’est triste mon stade vide ! Que c’est triste mon stade (presque) muet. Et encore, heureusement qu’il reste dans les tribunes quelques idéalistes ici ou là et quelques papys pourtant perclus de rhumatismes pour gronder de temps à autres. Triste. Alors, lorsque je me suis rassis sur mon siège après le but assassin des Autres et que mon regard s’est mis à vagabonder sur ce bon vieux Ray, ma crampe à l’estomac m’a fait vraiment mal, un mal que je n’avais plus connu depuis neuf ou dix ans. Vous savez, cette époque où on ne montait plus au stade que pour se faire mal.

 

Mais merde alors !, me suis-je dis en rentrant à la maison. Merde ! Pourquoi tant d’abandon ? Pourquoi ce silence, pourquoi ce vide ? Le public niçois lâche-t-il son équipe à la première tempête venue ? J’ai pourtant le souvenir de tribunes bien pleines et bien bruyantes il n’y a pas si longtemps, alors que nous caracolions à la DERNIERE place du classement à la même époque avec un fond de jeu ressemblant pourtant à celui qui est aujourd’hui le nôtre (pour les amnésiques, au lieu de balancer pour Rémy on balançait pour Koné).

 

Alors quoi ? On est devenus des enfants gâtés en si peu de temps ? Comme si on avait réussi à se déshabituer des époques de misère qui ont constitué le lot du supporter du Gym depuis si longtemps ? A moins qu’il n’y ait des gens, comme toujours, comme partout, qui guettent la mort du Gym en se frottant les mains… A moins que pour certains les défaites qui s’enchaînent ne les confortent dans leur opinion, dans leurs souhaits, dans leurs espoirs. Malsains. Je n’ose pas l’envisager. Non, ça ne peut pas être ça.

 

Alors que se passe-t-il ? Pourquoi cet abandon, cette désertion même, des supporters, du public, du peuple rouge et noir ? Pourquoi s’en prendre à quelques boucs émissaires désignés à la vindicte populaire ? A quoi bon les beaux discours sur les vrais et les faux si souvent vus et entendus ici où là, si ce n’est pour agonir d’insultes, cracher, déserter, ou tourner le dos à la première épreuve un peu sérieuse depuis trois ans ?

 

Peut-être parce que le scandale dure depuis trop longtemps, depuis plus d’un an, depuis décembre 2008, précisément. Soit, la lassitude, on peut comprendre. Mais enfin, on se dit supporter et à la première turbulence, on prend son parachute et on saute ? Comme ça, ciao, sans moi ! Trop facile. Lâche. Lassitude ? 1997-2002, ça ne vous dit rien ? Cinq ans de lassitude ! Pourtant il y a des Niçois qui ont continué à encourager leur club et à prendre le chemin du Ray, qui est, quoiqu’il arrive, toujours le plus beau chemin du monde, est-il utile de le rappeler ? Personnellement, que des joueurs de foot perdent des matchs, que des dirigeants – qui ont tout de même recruté deux joueurs importants au Mercato – aient fait des erreurs de management et se soient largement servis sur la bête, ça m’agace. Mais que le Niçois tourne le dos au Gym, qu’il se taise ou reste chez lui parce qu’il n’aime pas le coach, le président, la compo, le banc, la tactique, le climat, la dernière vidéo de l’attaquant vedette, le costard du directeur sportif, ou tout simplement parce que l’équipe ne gagne plus, ça, ça me fout en rogne !

 

Ah, ça y’est, je comprends, cette crampe à l’estomac, c’est donc ça, ce n’est au fond pas le but surréaliste et non valable des Autres à la 91e. Non, c’est plus grave, c’est plus profond, c’est plus douloureux. C’est ce sentiment que quelque chose, depuis maintenant plus d’un an, est en train de se briser. Ce fil magique qui nous avait tous réunis derrière notre équipe. Ce rêve que nous avions tous fait en 2002, autour d’un entraîneur rusé et d’une bande de rebelles qui voulaient à tout prix montrer à cette France qui n’a jamais pu nous piffrer qu’ils n’avaient pas les pieds carrés, qu’il y avait une équipe à Nice, un club, une âme, une mentalité. Ce rêve de tout un peuple redécouvrant son identité, son équipe, son stade, son Gym. Sa fierté.

 

C’est ce rêve aujourd’hui qui s’est brisé. Monaco en coupe, Vannes, Marseille dans un « match » fort suspect, Montpellier, Plabennec, Auxerre et tant d’autres équipes depuis un petit peu plus d’un an sont venues à coup de poignard massacrer notre beau rêve rouge et noir.

 

Mais, non, ce n’est pas possible, il n’est pas mort ce rêve. Je ne veux pas y croire.

 

Je veux continuer contre vents et marées à rêver. Je me souviens de cette bannière des années noires que le Ray arborait fièrement : L’AIGLON NE MEURT JAMAIS. On ne peut pas effacer huit ans de Gym. Et encore moins un siècle de Gym. Pas en tous cas seulement parce qu’on voudrait untel sur le banc ou untel dans le fauteuil de président. Non, ce serait pour tout dire trop con. Parce que l’on sait tous, TOUS, même ceux qui n’ont pas eu le courage de monter mercredi ou ceux qui n’on plus la force de chanter, parce qu’ils ont déjà tellement donné et depuis tellement longtemps, et même ceux qui ont l’insulte ou le crachat facile, que supporter le Gym ce n’est pas ça. Ca, c’est quoi d’ailleurs au juste ? Un coup de déprime, un coup de blues ?

 

Alors, il faut se ressaisir et vite. Parce que bientôt, il y a un Louis II à remplir. Un Louis II à colorer en rouge et noir. Des « Nissa ! » à faire retentir jusqu’à Vintimille. Comme au bon vieux temps, au temps des coups de Trafalgar de Kaba ou de Lilian, du pénalty magique de Poussin, de coup de boule d’Ederson et bien sûr, du triplé d’Agali. Le Louis II, y’a-t-il un lieu mieux indiqué pour fermer les yeux tous ensemble et reprendre notre rêve, pour remonter le long de ce fil magique qui fait de nous plus que quiconque, supporters du Gym arborant fièrement le rouge et le noir, des Niçois ?

 

Au Louis II on peut s’interroger sur les modalités d’une cent-quinzième forme de protestation contre le staff, la direction, les joueurs, la compo, la tactique ou la préparation physique, parler tribune vide, morte, boycott, se lamenter sur qui a été ou n’a pas été recruté, sur le fond de jeu aussi glacial que le fond de l’air, ou tout ce que vous voulez.

 

Ou alors, on peut aussi ressusciter tous ensemble, en rouge et noir, en chantant, en braillant, malpolis, malpropres, mal embouchés, geignards, gueulards, irrespectueux, rois de la mauvaise foi, bruyants comme jamais… En supporters Niçois, Brigade, Rumpetata, secioun diverses et variées, CDS, simples passionnés, unis, d’une seule voix, immense corps rouge et noir hérissé de milliers de têtes hurlant leur fierté d’être des fils et des filles de l’Aiglon ! Dans la victoire, ou dans une énième branlée, mais dans l’honneur.

 

Je sais, vous allez rire, vous moquer, brocarder cet incompréhensible accès de sensiblerie, ce délire nostalgique, d’un supporter poussant un appel à supporter. Vous allez dire que je rêve. Peut-être. Sûrement même. Mais enfin…

 

Rappelez-vous, nous avions fait un rêve !

 

Credit Photos : Marc (nissa.big-bazar.info), Thibaud (pci-photo.com), Marco 06 (pour lateralenissart.com) et ogcnice.info