En croisant Marco

L'autre jour, en prenant un verre avec des copains, j'ai aperçu Marco. Alors je suis allé le saluer. Bien sûr, il a mis un temps pour me remettre. Bien sûr on était à l'école ensemble, mais moi je jouais encore aux petites voitures et lui, il jouait déjà avec les filles. Marco, il est de Saint Roch. Marco, quand j'étais encore un pitchin gari qui se prenait pour un grand, c'était déjà un grand. Marco, tous ceux qui aiment le Sud le connaissent. Même ceux qui, comme moi, l'ont quittée il y a longtemps.

 

 

On a un peu papoté. Ca ma rappelé les vieux souvenirs. Le collège, le quartier, et surtout le Ray. Le Ray des années 1980. Le Ray des Bocandé, Kurbos et Langers. Le Ray de ma jeunesse. Le Ray qui est orphelin de tant d'Anciens qui ne montent plus guère, las de se faire matraquer par un pouvoir qui s'accroche à ce qu'il peut.

 

Je me souviens, on achetait les billets à la Rotonde. Des petits billets de rien du tout, à déchirer et dont les chutes, à l'entrée de la Sud faisaient de petits confettis roses ou bleus. Elle n'était pas encore symbole de répression, la Rotonde. Elle était le lieu de rassemblement de tous les amoureux du Gym. Et comme la location n'était pas encore entrée dans les mœurs et qu'internet n'était encore qu'un vague projet - faut-il rappeler, qu'à l'époque un téléphone était nécessairement relié à un mur par un fil ? - on faisait la queue de longues minutes. Et comme on s'ennuyait, on entendait souvent monter les premiers chants de la soirée depuis la Rotonde. Une fois le précieux sésame en poche, comme l'ont fait des générations de Niçois, on remontait le rue des Pops Sud (pourrait-elle porter un autre nom ?), sandwich à la main, en se demandant au passage comment on pouvait préférer jouer au tennis plutôt que d'aller au match. Enfin, on arrivait aux grilles de la Populaire, aux portes du Paradis. La fouille, à l'époque, c'était une formalité. Quelques policiers, pas encore de stadiers, encore moins de ces Robocops qui nous font davantage penser aux chevaliers d'Azincourt qu'aux gardiens de la paix. (Remarquez, puisqu'ils sont là pour tout sauf pour garder la paix... !) Et puis on montait les marches du bonheur, pour découvrir le carré vert illuminé. Et toujours notre cœur battait plus fort lorsque nous nous asseyions sur les gradins pour attendre le match. On avait découpé dans Nice-Matin, tout en bas de l'article de Julien Giarrizzi, invariablement intitulé "Pourquoi il faut monter !", la compo des équipes, histoire de pouvoir reconnaître les noms des joueurs adverses. A l'époque, pas de flocage sur le maillot, pas de numéro attitré. Le 10 jouait au milieu et le 9 devant, quelque soit son nom. De la Sud, on pouvait humer l'odeur du gazon, de tous les gazons, d'ailleurs ! L'odeur de la fumée, de toutes les fumées ! L'odeur de la liberté. On avalait le sandwich en regardant le lever de rideau. Car à l'époque, on arrivait au stade à cinq heures. Et on n'avait pas besoin d'apéro pour être en forme.

 

A l'époque, pas de perchoir. Marco et les autres montaient au grillage, le petit grillage recourbé vers l'intérieur, qui était tout ce qui nous séparait du terrain. Là, Marco nous tenait ses discours dont il avait le secret. Et on se mettait à chanter. C'était aussi simple que ça. On ne parlait pas seulement de "Brigade", mais souvent encore de "Kop Sud". Les "latérales" avaient encore leur magnifique toit de béton recourbé. Comme il était beau notre stade, fermé, tiré à quatre épingles, avec ses deux belles tribunes couvertes et ses deux murs de béton qui barraient les petits côtés. Comme on était fier de notre Ray, comme on le trouvait beau et grand. C'était avant qu'il ne tombe en ruine. C'était avant que le moindre bled de deuxième division ne construise un stade ultramoderne et sans âme.

 

Et puis le match commençait. A l'époque, deux passes ratées et s'était la bronca. J'aurais bien aimé voir le petit Modeste dans le Ray de l'époque ! Mais aussi, dès que les Rouges et Noirs attaquaient, le stade se mettait à gronder. Peu de chants à l'époque. Pas encore de grands tifos. De la passion, de l'exubérance, une joyeuse improvisation, de saines colères, des broncas mémorables, des pétards, des fumigènes... Gare au gardien adverse sur les six-mètres ! Et puis, s'il y a une chose qui n'a pas changé, c'est bien le chaos accompagnant les buts, comme sur cette bicyclette de Kurbos ou sur ce retourné de Bocandé, comme sur ces buts plein de sang-froid de Langers, sur les coups francs de Bravo ou les chevauchées de N'Dioro.

 

Et la speakerine, si, si, si, la speakerine (!) y allait de son eeeeeeeeeeet buuuuuuuuuuuuut pour Niiiiiiiiice ; buuuuuuuut de Juuuuuules Bocaaaaaaaaaaandé !

 

Et puis, il y eut la D2. Une rapide remontée dans un stade en ruine et désert. Le rêve d'une nuit de fête au goût doux-amer au Parc, et de nouveau la nuit. Marco, lui était toujours là. Et comme on nous avait installé un filet derrière les cages, on pouvait se lancer dans l'escalade et même dans le parapente... Sans parachute ! La résurrection de 2002 et puis, lentement, cette impression de revenir dans le rang, de ne pas être taillé pour les premiers rôles, éternellement. J'ai quitté la Sud et j'ai assisté aux plus belles ambiances des soirs de liesse de la remontée et des saisons heureuses qui ont suivies depuis d'autres tribunes. J'ai mes raisons. Mais j'aperçois encore Marco, parfois. Comme ce soir de coupe à Monaco, où il a fait le tour des tribunes pour haranguer son peuple. Assurément le Niçois qui s'était le plus battu ce soir là.

 

Non, elle n'était pas meilleure l'ambiance de ces jours là, ils n'étaient pas plus beaux ces matchs du Gym à l'époque de Jules ou de Robby, ou à l'époque où on tournait à la mi-temps, ni bien plus fringuant, au fond, notre cher vieux club. Mais nous avions vingt ans… Nous étions immortels, nous étions amoureux du Gym pour la première fois. Et quand on tombe amoureux pour la première fois, on pardonne tout ! Après 25 ans de vie commune, c'est sûr, c'est autre chose !

 

Pourtant, il y a bien une chose qui, elle, n'a pas changé. La flamme dans le regard de Marco, lorsqu'il parle de son vieux Gym, de cette éternelle passion. Cette flamme dans son regard lorsque ses pensées se portent à nouveau vers notre Ray. Marco a toujours le cœur rouge et noir - qui en doutait ! - et ça, toutes les lois liberticides du monde ne le changeront pas. Alors, si le quatre-troâ-troâ, le Canal football club, le coaching de M. Roy et la politique d'insécurité du gouvernement vous fatiguent, si un jour vous apercevez Marco, faites comme moi. Faites un détour, allez le saluer, et vous lirez dans ses yeux cette flamme qu'aucun texte de loi n'éteindra jamais. Alors, vous pourrez reprendre votre chemin le cœur plus léger, emplis vous aussi de cette certitude, repensant à ces milliers de jeunes qui contre vents et marais ont toujours continué et continueront toujours de monter au Ray. L'Aiglon ne meut jamais, la Brigade, bien qu'illégale, est éternelle, et la passion du Gym ne s'éteindra pas... Tant qu'il y aura des Marco.

 

Merci Marco, il est pour toi et pour tous ceux qui te ressemblent, ce petit édito, en forme d'hommage modeste de qui n'a pas fait grand chose pour ce club, mais qui sait ce qu'il doit à tant d'autres.

 

Photos : Kevin (ogcnicearena.wifeo.com) - ogcnice.info - Lateralenissart.com