Jean-Clair Todibo : " Je me prenais pour je ne sais pas qui"

Souvent considéré co"mme un joueur arrogant et instable, le défenseur niçois revient avec une sincérité rafraîchissante sur son parcours.


Si son parcours reflétait son potentiel, Jean-Clair Todibo (21 ans) serait en Hongrie pour participer à l’Euro Espoirs. Mais le défenseur passe la trêve à Nice, où il relance une carrière particulière. Révélé à Toulouse en août 2018, il affole vite les recruteurs et signe son premier contrat pro en janvier 2019, au FC Barcelone. La marche était trop haute et 2020 lui a fait enchaîner deux échecs en prêt, à Schalke 04 et Benfica, où l’entraîneur Jorge Jesus l’a critiqué (« Il n'a pas de condition physique ou tactique » ). Le 1er février, Todibo a donc été encore prêté à Nice avec une réputation peu flatteuse, qu’il réussit à effacer pour trouver enfin la stabilité. Très fiable, il s’épanouit au Gym, où les principes conviennent à son tempérament joueur, et l’option d’achat d’une dizaine de millions d’euros doit être levée. Souvent drôle, toujours franc et agréable, il s’est confié pendant une heure à L’Équipe, sans s’épargner.

 

 Quel cap allez-vous passer contre Reims, le 11 avril ?


Ça va être la première fois que j’enchaîne autant dans un club.


Ce sera votre onzième match à Nice, après en avoir joué dix à Schalke et à Toulouse. Qu’est-ce que ça vous inspire ?


Ça prouve que venir ici était un bon choix, j’avais besoin d’enchaîner. Je cherchais ça à Schalke, à Benfica ; malheureusement ça n’a pas marché. Ça marche à Nice, un club qui me correspond, et j’espère que ça va continuer. Je fais juste ce dont j’avais envie depuis le début.

 


Vous avez signé votre premier contrat pro à Barcelone, ce qui ressemble à un rêve…


Mais c’est naze d’aller à Barcelone et de ne pas jouer. Je préfère porter le maillot de Sedan et jouer plutôt qu’aller à Barcelone et ne pas jouer (sourire). Déjà tu essuies moins de critiques à Sedan… La présentation à Barcelone, c’est la folie, mais je n’ai joué que cinq matches, c’est bidon en vrai. J’ai gagné une Liga (en 2019), mais je n’ai pas aidé l’équipe, j’ai joué quand on avait gagné le titre ! Tranquille, il y a mieux à faire je pense…


Êtes-vous responsable de votre instabilité ?


J’ai cette image et c’est légitime. On se dit : “Il est instable, il fait des bouts de match tous les trois mois.” En signant à Barcelone, je savais que j’avais du beau monde devant moi, que ça allait être compliqué d’être régulier. Mais ma satisfaction, c’est que j’ai toujours fait mon match quand j’ai joué. Je sais que j’ai fait le boulot.


Avez-vous été victime de choses qui vous dépassent ?


Non, car je comprends totalement. Il y avait une forte pression sur les épaules du coach Valverde. C’est difficile de faire jouer un jeune alors qu’il y a Piqué. Moi-même, si je suis le coach, je fais pareil.


Pourquoi êtes-vous parti à Barcelone si vous saviez ça ?


Éric (Abidal, alors secrétaire technique) m’avait dit que Barcelone me voyait comme la relève de Piqué. J’ai joué deux matches, puis Valverde m’a dit que j’étais le quatrième défenseur mais qu’il allait falloir que je prouve sur la présaison. Sam (Umtiti) se blesse, je fais ce qu’il faut, mais on ne me donne pas ma chance. Je leur ai dit : “Je ne demande pas à jouer le Clasico, mais faites-moi jouer des matches, je pense avoir le niveau pour jouer contre Leganés, avec tout le respect que j’ai pour eux.” J’ai joué contre le Séville FC, on a gagné (4-0), j’ai attendu deux mois pour jouer contre l’Inter Milan en C1 (2-1, le 10 décembre 2019), et j’ai compris que je devais partir. Je pensais vraiment faire quelque chose là-bas, mais il y a bien plus grave. Quand je vois des gens qui dorment dehors, je me dis que c’est déjà très bien ce que j’ai, car je n’ai pas grandi avec une cuillère en or dans la bouche. J’ai de l’ambition, mais il faut savoir relativiser.


Vous dégagez une grande assurance. D’où vient-elle ?


J’ai toujours été sûr de moi. Je vois le foot comme un amusement, et j’avais cet état d’esprit à Barcelone. C’est énorme de s’asseoir à côté de Messi ou de Piqué, je les respectais, mais je pensais aussi au joueur que je voulais devenir.


Cette assurance a-t-elle joué contre vous?


La confiance, ça peut vite dériver en arrogance dans le jugement des gens. Alors que pas du tout, je suis juste sûr de moi, je demande juste à jouer au foot. Je sais faire un contrôle, une passe, je dois encore apprendre mais je connais mes qualités.


Pourquoi ne les avez-vous pas montrées avant sur la durée ?


À Schalke, c’est moi qui ai fait les erreurs. Un manque d’humilité, de sérieux, de professionnalisme a fait que mon prêt a été un échec personnel. C’est une grosse erreur de jeunesse. Je m’en suis excusé auprès de Michael Reschke (alors directeur technique) qui devenait fou. Il m’a dit : “Avec le potentiel que tu as, comment tu peux te comporter comme ça ? Si tu avais la mentalité de Kimmich, tu jouerais à Barcelone !” Ça m’a donné un bon coup derrière la tête. Ce prêt m’a fermé énormément de portes, j’ai commencé à réfléchir différemment.


Pourquoi avez-vous craqué ?


Je ne peux pas l’expliquer. Je m’en veux énormément car j’ai manqué de respect à mon travail et à moi-même. Depuis petit, je bosse à fond pour vivre de ma passion. Là, j’ai tout ce que je voulais et je foire tout. On me paie pour jouer au foot et je me prenais pour je ne sais pas qui. J’avais été élu joueur du mois, j’avais tout pour moi, et j’ai flanché à ce moment important.


Êtes-vous maintenant à l’abri de ce type d’erreur ?


Avec le recul et la maturité que j’ai pris, je pense, oui. Tu peux faire l’erreur une fois, pas deux.


Certains la font deux fois…


La faire deux fois, ça voudrait dire que je suis con… Et ça va, je suis intelligent (sourire).


Voyez-vous Nice comme une dernière chance?


Je ne me tape pas la tête en me disant qu’il faut que ça marche absolument. J’ai retenu la leçon. Le foot, ce n’est pas juste le terrain. C’est faire attention à ce que tu manges, au sommeil, aux soins… Avant, je faisais tout un jour, puis rien, et tout, et rien, rien... Là, je suis régulier. Nice m’offre tout ce dont j’ai besoin et m’a donné la chance de me relever. Je la saisis pour m’inscrire dans la durée et aider mes coéquipiers. Car les aider, c’est m’aider moi aussi.


Le prêt vous met-il sous pression ?


Non, car ça voudrait dire qu’une fois cette période passée, je peux poser les pieds sur le bureau et retomber dans mes travers. Je fais au mieux, pas pour que les gens disent que j’ai changé, mais parce que ça me fait du bien. Il ne faut pas porter attention au jugement des autres dans le foot, sinon on tombe vite dans la dépression. Ma remise en question est personnelle.


Enfant, vous avez confié à un éducateur que vous vouliez marquer l’histoire de votre sport. Qu’est-ce que ça signifie ?


Faire de grandes choses, gagner des titres... Je ne voyais que le foot, mais ma mère me serrait pour l’école. C’est pour ça que je suis allé en filière scientifique. J’ai arrêté à six mois du bac pour me consacrer au foot, ma maman était fâchée. Elle ne me pardonnera jamais. Malheureusement, je n’ai pas répondu à ses attentes mais je vis de ma passion et je lui ai dit qu’un jour je lui ramènerai le bac. J’espère que j’en aurai le courage, ça lui ferait tellement plaisir. Après, si je lui ramène un petit trophée à la place, peut-être que ça ira aussi (sourire).


Pensez-vous être un joueur facile ?


J’espère l’être. J’écoute les consignes, mais j’aime échanger sur le foot.

 

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Cela peut agacer…


J’échange dans le respect. Ce n’est pas : “Vous dites n’importe quoi, c’est moi qui ai raison”. Au contraire, c’est moi qui dis n’importe quoi. Parler tactique, c’est utile pour progresser.


Vous avez déclaré que vous étiez en désaccord avec les consignes à Schalke.


Je faisais ce qu’on me demandait mais la façon de jouer n’était pas adaptée à la mienne. Avant un match contre le Bayern (0-1, le 3 mars 2020), le coach (David Wagner) nous avait répété qu’il fallait qu’on sorte haut car on allait dégager tous les ballons. Sur le premier dégagement du gardien, tout le monde monte, et moi je suis devant la surface en train de lui demander le ballon… L’entraîneur me crie : “Raus J.C. ! Raus J.C. ! (Dehors J.C., en allemand)”, pour que je monte. “Ah désolé coach, j’ai oublié !” Et je suis monté à fond la caisse ! Il y a eu plein de choses comme ça… Ce n’était pas pour aller contre son autorité, c’est que je vois le foot d’une certaine manière, je voulais ressortir le ballon toujours proprement. Mais c’était un bon coach, il m’a aidé.


Tous vos entraîneurs ont-ils aimé parler avec vous ?


À Benfica, on n’a jamais discuté alors que c’est l’endroit où j’ai été le plus pro. C’était frustrant à mort. À Nice, on échange beaucoup. À Barcelone, le coach a dû me parler une fois. Après les matches, je n’avais personne pour me faire un retour. J’avais mon analyste vidéo mais ce n’est pas lui qui fait le onze…


Cela vous a perturbé ?


Oui, car j’étais très loin d’être un joueur confirmé à Barcelone. J’ai une marge de progression assez grande. Je fais encore des erreurs de placement, je rattrape le retard pris tactiquement. Je compense par mes capacités physiques. Après, à Barcelone, ils n’ont pas besoin de bosser la tactique avec des gens comme Busquets. Lui, il connaît tout, il est calé…


Que vous ont appris ces joueurs ?


Je parlais énormément avec Clément (Lenglet). J’aime trop sa personne et je kiffe grave le footballeur. D’autres me donnaient des conseils sur les sorties de balle, prendre son temps ou pas, ça fait du bien.


Vous êtes devenu défenseur tardivement…


Mon modèle était Pirlo. Quand j’ai intégré le groupe à Toulouse, j’ai fait un match de prépa comme défenseur, mais je préférais rester milieu. Alain Casanova m’a dit : “Soit tu joues milieu en N3, soit tu joues défenseur en L1”, et il a rigolé car il connaissait la réponse… Je préfère jouer défenseur aujourd’hui.


Pourquoi n’avez-vous pas signé pro à Toulouse ?


Quand j’ai joué en L1, les mêmes personnes qui ne voulaient pas de moi sont venues me voir pour que je signe. Je ne leur reproche pas de ne pas m’aimer, mais ce n’est pas logique. Ils ont fait croire que j’étais parti pour l’argent mais c’est faux. Je voulais rester pour le coach mais des gens ont manqué de respect à ma famille, c’était extrasportif.


Comment a basculé votre histoire au TFC?


S’il n’y a pas Casanova, je ne joue pas. Quand il est arrivé (en juin 2018), on lui a donné une liste de quatorze joueurs du centre, j’étais le quatorzième. C’était comme s’ils me coupaient deux bras devant lui. On me voyait arrogant, comme un mauvais garçon de la pire espèce, alors que je n’avais rien demandé. Certains ont vu le bon en moi et d’autres m’ont jeté dans une case où je n’avais pas ma place. Je le vivais comme une injustice et, sans Casanova, j’aurais dit à ma mère : “Désolé maman, j’ai raté le bac pour ça…” Mais j’aurais cherché une solution ailleurs, en National. C’est la vie : avec les mêmes qualités, on peut ne pas y arriver à Toulouse ou aller à Barcelone.