L'interview de Vieira

« Entre vos débuts en tant qu’entraîneur, en 2013 et décembre 2020, il y a eu une forme de continuité, que ce soit à Manchester City, New York ou Nice. Comment avez-vous vécu cette première période de rupture ?

Ça a été un moment difficile parce que, quand il y a rupture, il faut la digérer. Et c’est quelque chose que j’ai appris à découvrir. Mais avec le temps, on prend de la hauteur.


Comment gérez-vous cette situation nouvelle au quotidien ?


Ce qui me manque le plus, c’est le relationnel avec les joueurs, les salariés, être sur le terrain, sur le banc, la compétition. Il y a un manque qui est de plus en plus fort. Cela faisait vingt-cinq ans que je baignais dans ce milieu. Donc il faut trouver un nouveau rythme. Je profite de la famille. Je dépose ma fille à l’école, on fait à manger ensemble. (Sourire.) Je regarde les matches et je prends surtout le temps de me poser et de faire une analyse de ces trente mois à l’OGC Nice.



Regardez-vous les matches de Nice ?


Je regarde le foot en général. Je ne me focalise pas sur les matches de Nice mais oui, je les regarde. Avec beaucoup de curiosité. Pour voir l’évolution des joueurs avec lesquels j’ai travaillé. Mais j’anticipe votre question... (Sourire.) Je ne serais pas à ma place en portant un jugement sur les performances individuelles ou sur le collectif.

 Avez-vous appelé vos ex-entraîneurs, comme Arsène Wenger, pour tenter de mieux analyser votre passage à Nice ?


Bien sûr, j’ai eu Arsène au téléphone. Et l’une des premières phrases qu’il a prononcées, c’est : “Tu n’es jamais un vrai entraîneur tant que tu ne t’es pas fait virer. (Sourire.)” On a discuté de comment il m’avait perçu de l’extérieur. Ça a été des discussions très constructives, comme toujours avec Arsène. Quand on se lance dans ce métier-là, il faut accepter l’idée qu’on va se faire virer à un moment ou à un autre. J’aurais préféré que ce soit un peu plus tard mais c’est arrivé, et ce qui est important pour moi, et j’en ai la certitude aujourd’hui, c’est que cette expérience m’a rendu et me rendra meilleur comme entraîneur.


Vous avez connu une carrière de joueur exceptionnelle. Et jusque-là, une carrière d’entraîneur linéaire. Pour la première fois, vous êtes associé à une forme d’échec. Ne craignez-vous pas qu’on porte un regard nouveau sur vous ?


Non, non, pas du tout. À partir du moment où on se fait virer, on le perçoit comme un échec, mais je suis au début de ma carrière d’entraîneur. Et mon objectif, c’est d’aller très haut. Je vais me donner les moyens de réussir. Et le regard des gens sur cet échec fait partie de ma construction en tant qu’entraîneur. Il y a eu des échecs dans ma carrière de joueur, j’ai toujours su rebondir.


N’avez-vous pas eu envie de replonger tout de suite pour balayer le doute et prouver…


(Il coupe.) Non, non. Quand on regarde bien ma carrière, les choix je les ai toujours faits pour durer. J’ai une certitude sur ce que j’ai envie de faire et la qualité d’entraîneur que je peux être. Oui, il y a eu des opportunités mais je sais que ce n’était pas le moment. Repartir tout de suite n’aurait pas eu de sens. Ce sentiment de revanche n’était pas le bon ressort.


Vous êtes débarqué le 3 décembre. Aviez-vous envisagé à ce moment-là que cela allait se terminer ?


Non, je ne m’y attendais pas. Après, il y a une décision qui a été prise. Que je l’aie anticipée ou pas, que je l’accepte ou pas, que je la comprenne ou pas, les faits sont là. Ce qui est important pour moi, c’est d’avancer.


En voulez-vous à Julien Fournier, le directeur du football, et Jean-Pierre Rivère, le président de l’OGC Nice ?


Tu leur en veux sur le moment. Quand on est viré, ça ne fait jamais plaisir. Sur le coup, il y a de la colère. Mais sur la durée, je ne leur en veux pas. Chacun est dans son rôle. Je le répète, je n’ai qu’une obsession aujourd’hui : avancer.


Quelques jours avant votre limogeage, vous expliquiez : “Chaque année, il y a eu des moments difficiles. On a toujours eu la force de retourner la situation.” Selon vous, vous l’aviez encore cette fois ?


J’ai toujours eu cette force et j’y croyais vraiment, oui. On parle d’une période compliquée. Mais comme sur la première année ! Et à l’arrivée, on avait fini combien ? Septièmes. Toutes les équipes ont, sur une saison, des moments difficiles. Ces moments, on les passe en créant une certaine unité collective. Je parle du club, de l’institution.


Cette unité du club, elle existait ?


J’ai toujours pensé qu’elle existait. En tout cas, elle existait entre les joueurs et moi.


Vous n’avez jamais eu l’impression de perdre le fil avec le groupe ?


Sincèrement, pas une seule seconde. Je n’ai pas eu de doute ni sur leur implication ni sur ma méthode de travail avec eux. Ce qui me confirme que j’étais dans le vrai, ce sont tous les appels que j’ai reçus ensuite de leur part.
Quand on regardait les matches de Nice cet automne, on voyait un groupe en crise de confiance, avec des erreurs individuelles grossières… On zoome sur cette période-là mais elle ne reflète pas les trente mois que j’ai passés. Et on zoome sur ces erreurs individuelles mais elles font partie de l’apprentissage. Ce qui me dérange un peu, c’est qu’on se focalise uniquement là-dessus.


Mais c’est normal, c’est cette période qui provoque votre renvoi…


Oui, mais cette période-là, elle intervient dans un contexte global qu’il faut analyser. Bien sûr qu’il y a des manques. L’expérience est vachement importante dans le sens où certains joueurs vivaient leur première expérience en L1. Ils avaient besoin de temps pour pouvoir apprendre. Et pour apprendre, il faut commettre des erreurs.

 

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La saison niçoise bascule-t-elle sur la grave blessure au genou de Dante, début novembre?


Le fait que Dante, qui a joué des Coupes du monde, des C1, ne soit pas là pour gérer la pression a été un manque. Mais cela ne doit pas être une excuse. Tous les clubs sont confrontés à la perte d’un ou deux joueurs importants. Je ne veux pas trouver ça comme prétexte. Ce serait trop facile.

Que vous inspire votre bilan ?


Je suis vraiment en phase avec le travail que j’ai accompli. Septième, cinquième, cette expérience en Coupe d’Europe, c’est très positif. Le club avait trouvé une certaine stabilité pour continuer à grandir. Et je suis fier de cela.


Avez-vous identifié vos erreurs ?


On commet des erreurs et j’en commettrai encore. Cela fait partie de la construction d’un entraîneur. Ce que je ne referai pas, par exemple, ou différemment, c’est la gestion de l’enthousiasme dans la communication après la deuxième saison.


Vous estimez que les objectifs affichés étaient donc trop élevés par rapport à la qualité de l’effectif ?


(Il réfléchit.) Je pense qu’il y avait un décalage entre les ambitions et l’effectif qu’on avait, oui. C’était à moi de mieux gérer cet enthousiasme.


Mais des moyens importants ont été alloués au mercato 2020, avec l’arrivée de Schneiderlin, Reine-Adélaïde, Gouiri, Bambu... Comment expliquez-vous ce décalage ?


L’OGC Nice est dans une phase où il est en train de grandir. À partir du moment où on grandit, il faut créer ces fondations. On était dans cette première phase. Avec le temps, on aurait pu construire quelque chose de vraiment stable.


Vous êtes-vous trompé dans la construction de l’effectif, notamment avec ce déficit d’expérience ?


Je ne pense pas qu’on se soit trompés. C’est la direction que le club voulait prendre, et je m’inclus dedans aussi.

 


Mais pour vous, donc, il n’y a pas eu d’erreurs de casting ?


(Il prend du temps pour réfléchir.) Surle potentiel, je ne pense pas. Après, il y avait sûrement des joueurs qui avaient besoin d’un peu plus de temps que d’autres. Il y en avait certains qui n’étaient peut-être pas prêts à faire face aux ambitions du club à ce moment-là.


Ça, c’était prévisible l’été dernier, non ?


Il y a eu des joueurs dont on pensait qu’ils seraient prêts et qu’ils ne l’ont pas été, et inversement. Ce qu’il faut, c’est être cohérent, assumer et se dire : on a une ligne de conduite, il faut se donner du temps pour tirer le maximum de ces joueurs-là.


Ce temps, vous avez le sentiment de ne pas l’avoir eu ?


Le temps est quelque chose de compliqué dans notre métier. (Sourire.) Il faut que tout le monde soit en phase avec ce que l’on veut mettre en place.


Et vous étiez en phase avec vos dirigeants ?


Je le pensais, oui…


Il y a eu différentes séquences durant ces trente mois, avec le départ puis le retour du duo Fournier-Rivère, en août 2019. Avez-vous toujours eu le sentiment de travailler en confiance ?


Encore une fois, j’ai pris beaucoup de hauteur par rapport à tout ça. Je ne veux pas entrer dans cette notion de confiance, pas confiance, de comment était untel ou untel avec moi. Ils sont revenus, on a travaillé ensemble et cette décision est arrivée. Je ne m’y attendais pas mais c’est comme ça.

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À votre arrivée, en juin 2018, vous disiez vouloir “perpétuer le beau jeu pratiqué depuis quelques années”. Entre cette promesse initiale et ce qu’on a vu, il y a eu un écart. Partagez-vous ce constat ?


Sur la première et la deuxième année, je pense avoir tiré le maximum de mon groupe. Le bilan, c’est d’avoir fini septième, puis cinquième. Quand on parle de jeu, en général les gens zooment sur une période, la dernière. Moi, je regarde la globalité.


Vous avez donc eu le sentiment que les spectateurs ont pris du plaisir à regarder Nice.


Mais on peut toujours mieux faire au niveau du jeu, il n’y a aucun doute là-dessus ! En tant qu’entraîneur, on aimerait toujours pouvoir développer plus de jeu. Je ne serai jamais totalement satisfait. Et si je regarde mes trente mois, je peux trouver des matches ennuyeux. Est-ce qu’on aurait pu mieux jouer sur certaines périodes ? Oui, mais il y a aussi d’autres matches où on a été très bons.


L’autre doute qui a escorté vos derniers mois concerne votre style. Les observateurs ont éprouvé des difficultés à définir ce projet de jeu.


Ceux qui disent ça n’ont pas regardé Nice pendant trente mois. Si vous parlez de principes de jeu, ils sont définis. Avec un jeu de possession et une volonté de ressortir de derrière pour construire ensuite. Le style, il est là. Après, que quelqu’un me dise : “Ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas, j’aime, j’aime pas”, OK, aucun souci. Mais quand on regardait l’OGC Nice jouer, on ne peut pas dire qu’il n’y avait pas de style, de philosophie définis.


L’autre facette d’un bilan, au-delà de l’aspect comptable ou de la qualité de jeu, c’est de juger de la progression des joueurs. Avez-vous eu le sentiment de les faire progresser ?


Des joueurs qu’on a recrutés, qui jouaient en équipe 2 ou qui avaient très peu de matches en L1, ont besoin de temps pour progresser. Et je suis persuadé que ces joueurs-là, je les ai fait progresser. Quand je vois aujourd’hui Amine Gouiri, qui a connu sa première titularisation en L1 avec nous, devenir l’un des Français les plus décisifs d’Europe, c’est une satisfaction. Même si, bien sûr, il a le potentiel, le talent. Je pense qu’avec mon staff, on a fait du bon travail. Daniliuc, Boudaoui, par exemple, bénéficient aujourd’hui des séances tactiques qu’on a faites avec eux.

 


Quel regard portez-vous sur cette génération de joueurs ?


Sincèrement, à partir du moment où il y a des règles de vie bien définies, il y a 95 % des mecs qui suivent. Il faut s’habituer à une nouvelle communication, aux réseaux sociaux. Mais je suis en phase avec cette génération parce qu’il y a de l’échange, des explications. Les mecs t’expliquent leur point de vue. Après, tu comprends, tu ne comprends pas, c’est autre chose. Mais ils sont dans l’échange.


En conférences de presse, régulièrement, vous assumiez le fait d’avoir commis des erreurs. C’est peu commun chez un technicien. Le referiez-vous ?


(Étonné.)Mais bien sûr ! Je n’ai aucun problème à me dire que je me suis trompé. Ou que j’aurais pu mieux faire. Reconnaître ses erreurs, je pense même que c’est ce qui peut faire aller au très haut niveau. Dire que j’ai commis une erreur n’enlève pas leur responsabilité en tant que joueurs.



Êtes-vous toujours convaincu aujourd’hui d’être à votre place sur un banc ?


Franchement, oui, c’est quelque chose qui m’anime. Cette envie d’être à l’entraînement, cette adrénaline sur le banc, je sais et je suis convaincu que je suis fait pour ça. Mon ambition est de faire une très belle carrière en tant qu’entraîneur. Je suis déterminé, j’en ai envie. Et on n’est qu’au début. (Rire.)Je vais me donner les moyens de réussir. Comme joueur, je suis toujours allé chercher les choses, je me suis toujours battu. Ce sera pareil pour ce métier. Je vais aller chercher ce que je veux. J’ai envie d’aller au très haut niveau. Quand j’échange avec Arsène (Wenger)et qu’il me dit qu’il m’a observé et que je peux réussir. Ce sont des choses qui me confortent dans l’idée que je suis fait pour ça.


Ne craignez-vous pas de ne pas retrouver un contexte aussi propice à votre évolution que ne l’était celui de Nice ?


Ça ne me fait pas peur du tout. Il y a de très beaux projets en Europe, notamment en France. La Ligue 1 reste un très bon Championnat, avec des projets très intéressants.


Combien de temps vous donnez-vous pour retourner sur un banc ?


J’ai très envie d’y retourner rapidement.


On vous sait très impliqué dans le combat contre les discriminations et le racisme. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la lutte contre le racisme dans le foot ?
Tout ce qui est en train de se passer est fondamental, il faut en être conscient. Car désormais, les gens qui subissent le racisme le dénoncent. C’est ça qui fera avancer les choses. Plus globalement, la société avance. Le documentaire de Canal+Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste l’a prouvé sur un autre thème. Les gens ne se retiennent plus pour dénoncer ces faits. C’est une évolution qui me paraît très importante. Sur le racisme, ce qui me fait réfléchir le plus, dernièrement, c’est qu’on est passés de cris venus des tribunes à des agissements de joueurs, voire d’arbitres. C’est en train de se dégrader. S’il n’y a pas des sanctions dures, on va arriver à un moment critique. Quand je regarde ce qui s’est passé à Paris (contre Istanbul Basaksehir, le 8 décembre 2020), voir les deux équipes quitter le terrain a été un signal très fort.


Vous vous étiez ému en octobre des propos du président de la FFF, Noël Le Graët, qui avait dit : “Le phénomène raciste dans le sport, et dans le foot en particulier, n'existe pas ou peu.” Vous appelez les dirigeants à faire preuve de davantage de fermeté ?


Mais déjà, la première étape c’est la reconnaissance que ce phénomène existe dans le foot. Ensuite, c’est : qu’est-ce qu’on peut pour faire avancer les choses ? Quelles sanctions pour dissuader les auteurs ? On ne peut pas faire avancer les choses quand on dit publiquement que le racisme n’existe pas.


Vous en aviez parlé au téléphone…


Je lui ai fait part de la manière dont j’avais ressenti ses propos. On n’est pas en phase, il y a un décalage. On s’est quittés comme ça.


Un décalage, c’est-à-dire ?


Il est convaincu que le racisme n’existe pas dans notre football. Les arguments qu’il a avancés ne sont pas valables pour moi. Je n’irai pas plus loin.


La présence d’entraîneurs noirs ou issus de la diversité sur les bancs est toujours aussi faible en France. Quel regard portez-vous sur ce constat ?


Déjà, ça ne se limite pas à la France. Et ça m’inspire deux choses. Un : ça ne reflète pas notre société. Deux : ça ne reflète pas ce qu’on voit sur le terrain. Je le regrette. Mais pourquoi vous me posez la question à moi ? Pourquoi vous ne posez pas la question à ceux qui délivrent les entrées aux diplômes d’entraîneur, aux dirigeants de la FFF ? La seule chose dont je suis convaincu, c’est qu’ils sont nombreux à vouloir devenir entraîneurs. Maintenant, c’est une question de volonté de nos dirigeants. Après, vous posez le constat pour les entraîneurs mais c’est pareil au niveau des instances. Est-ce que la Fédération reflète la société dans laquelle on vit ? Je ne suis pas sûr. En termes de couleurs de peau mais aussi de proportion hommes-femmes, est-ce que la Fédération représente ce qu’on voit sur les terrains ? Je ne pense pas.