Christophe Galtier se projette sur sa nouvelle aventure avec Nice : « Il faut trouver des leaders »

Christophe Galtier n'a pas fêté longtemps son titre de champion avec Lille, d'où il est parti fâché avec le président Olivier Létang. Son mois de juin a été pollué par l'interminable feuilleton de son transfert à Nice, dont il est enfin l'entraîneur depuis quinze jours. Il en est très heureux car il adore passer « 24 heures sur 24 » au centre d'entraînement, où il nous a reçus hier et où il dort en attendant de s'installer dans la maison qu'il a trouvée. Le technicien (54 ans) aime tout au Gym, même s'il sait qu'il ne pourra pas atteindre ses objectifs sans renforts de poids.

 

Comment travaille-t-on avec un groupe incomplet ?

 

On essaye d'aller à l'essentiel, avec un travail à la fois physique et technico-tactique. Les joueurs n'ont pas de repères dans ce que je veux voir de l'équipe. On va entrer dans les séances vidéo pour préciser les rôles. Il reste beaucoup, beaucoup de travail. Même si l'effectif d'aujourd'hui est totalement différent de celui de demain, les joueurs doivent s'imprégner de ce que j'attends d'eux.

 

Qu'attendez-vous ?

 

Beaucoup d'engagement, d'exigence, d'intensité.

 

Est-ce un soulagement de retrouver le terrain après un mois de juin compliqué ?

 

J'ai essayé, je dis bien j'ai essayé, de faire abstraction de ce qui se disait, sans dépenser d'énergie pour démentir. Dire qu'on ne m'informait pas de ce qui se disait, ce serait vous mentir. Cela a pris beaucoup de temps, c'était un feuilleton dont je me serais bien passé.

 

Vous partez de Lille en conflit, alors que vous êtes champion de France. Est-ce une frustration ?

 

C'est une déception. C'était clair depuis un moment, et je pensais que le dirigeant avait intégré ma position dès lors que je lui en avais fait part depuis un certain temps. Mais le dirigeant en a fait abstraction, en pensant que le titre et la Ligue des champions allaient me faire changer d'avis. Ce n'était pas le cas et je l'avais précisé bien en amont.

 

Le dirigeant, c'est le président Olivier Létang...


(Il coupe). Le dirigeant.

 

Il y a  une rancoeur ?


Non, une déception mais c'est comme ça.

 

Il a dit que les difficultés étaient dues aux Niçois qui vous avaient contacté...


(Il coupe) Faux.

 

Il rappelait que vous étiez sous contrat...

 

(Il coupe) Vrai (jusqu'en 2022). Je ne l'ai jamais occulté. Mais j'avais la faiblesse de penser qu'avec mon parcours et l'héritage que j'avais laissé, on aurait pu me laisser partir dans d'autres conditions. On essaye d'être le plus honnête possible, le plus transparent possible, et je l'ai été.

 

Létang avait le droit de vouloir vous garder.

 

Aimer une personne, ce n'est pas le dire. C'est le prouver. (Il réfléchit longuement) Je peux intégrer que mon interview (il a annoncé dans L'Équipe du 26 mai sa volonté de partir) n'ait pas été faite dans le bon timing. Mais tout ce que j'ai dit ce jour-là, mes dirigeants le savaient.

 

 

Vous n'avez rien à vous reprocher ?

 

Comment j'aurais quelque chose à me reprocher après avoir fait 2e, 4e, et 1er ? Et que je laisse un tel héritage, en ayant averti de ma volonté de quitter Lille ?

 

A Nice, le contexte est radicalement différent car vous êtes très proche de Julien Fournier, le directeur du football.

 

Je connais Julien depuis des années. Dire que je suis très proche de lui, c'est se tromper. On n'a pas de relations amicales, entre les familles. Après mon arrêt à Saint-Étienne, nous avons joué au padel, du moins j'ai essayé de jouer contre lui. C'est dur (sourire). On pouvait parler du foot français, comme je le faisais aussi avec le président Jean-Pierre Rivère quand on se voyait. On n'était jamais allés plus loin dans la relation de travail.

 

Est-ce qu'un entraîneur peut continuer à  jouer au padel avec un de ses patrons ?

 

Je ne peux plus parce que j'ai vraiment mal au genou (sourire), et il a un niveau très élevé.

 

Quelles relations entretenez-vous avec les Ratcliffe ?

 

J'ai rencontré pour la première fois Jim (propriétaire d'Ineos) et Bob (président d'Ineos Football) Ratcliffe le 1er juin à Monaco, dans leurs locaux. Il était important d'échanger pour savoir si j'avais le profil afin de mener le projet. Ils savent ce qu'ils veulent, où aller et ils en ont les moyens, ce qui est très rare à l'heure actuelle. Ils ont beaucoup de réussite mais ce n'est pas ce qui m'a convaincu. Avant ça, il y a l'OGC Nice et ce que représente ce club dans le foot français. Il y a les infrastructures, un nouveau stade, la passion autour de ce club historique, avec des supporters chauds qui peuvent être un atout très important. C'est un club important dans le paysage français, et qu'on sous-estime. J'ai la conviction que Nice peut être un club du haut de tableau, pendant des saisons.

 

C'est votre mission, remettre le club à la hauteur de ce que vous en pensez ?

 

C'est aussi la volonté de dix-douze clubs en France. Il faut imposer une extrême exigence pour y parvenir, avec un total investissement de toutes les composantes. Mais le moteur, c'est l'équipe pro. Dans ce sens, on a beaucoup de travail car des joueurs ont pu être marqués par une saison difficile. Il y avait des jeunes avec du potentiel mais ils ne me semblaient pas assez encadrés. La blessure de Dante (rupture des ligaments croisés, le 1er novembre dernier) a changé beaucoup de choses.

 

La quête de cadres, c'est le chantier prioritaire ?

 

Oui, il faut trouver des leaders pour que tout le monde reste dans le cadre de travail. Si vous faites une équipe de jeunes à fort potentiel, puisque c'est la mode de dire ça, vous n'avez pas de résultats. C'est garanti. Ils ne savent pas ce qu'est le métier, l'investissement. Le staff doit leur transmettre ça, mais aussi les cadres sur le terrain, pour garder le cap dans la tempête. Un gamin de 20 ans peut être un leader technique. Un cadre, c'est autre chose.

 

Dante peut-il en être encore un ?

 

Je connais Dante. J'ai toujours apprécié le joueur, sa façon d'être, la manière dont il fait le métier. Depuis quinze jours, tout me conforte dans ce que je pensais de lui car il est exemplaire. Lui, il travaille même quand il dort, car il sait qu'il doit bien dormir. Comment il va revenir ? Ni lui, ni moi, ni le staff médical ne le savons. Il est intégré à 100 % aux séances depuis lundi. Il va compenser son retard par sa connaissance du haut niveau. Il n'y a aucune raison qu'il ne soit pas un cadre de l'équipe.

 

Votre idée, c'est jouer en 4-4-2 ?

 

Oui, ce qui implique automatiquement du recrutement sur les côtés. C'est mon modèle de jeu sur les dernières saisons à Lille et Saint-Etienne, et ça engendre une recherche de joueurs spécifiques, avec de la profondeur, de la vitesse. Je ne demande pas des noms, j'ai besoin de profils.

 

A Nice, Claude Puel et Lucien Favre ont nourri une philosophie offensive que Patrick Vieira a tenté  de perpétuer,  même  si cela s'est moins vu. Vous inscrivez-vous dans cette volonté ?

 

C'est une question très difficile. Est-ce que les gens ont été satisfaits de ce que l'équipe a fait les trois dernières saisons à Lille ? A-t-elle été défensive, offensive ? Les fondations passent par l'organisation défensive, qui part d'en haut. Et le football, c'est attaquer, marquer.

 

Kasper Dolberg sait marquer. Va-t-il rester ?

 

Je ne sais pas. Je n'ai pas voulu échanger avec lui pendant l'Euro (où il atteint les demi-finales avec le Danemark), même si j'ai suivi tous ses matches, félicitations à lui. Tout ne s'est pas bien passé dans son adaptation ici, mais c'est un attaquant avec beaucoup de talent, dont l'attitude corporelle peut parfois laisser croire qu'il n'est pas très heureux. Mais des infos que j'ai, il est autre chose que ce qu'il peut laisser transparaître. Je vais échanger avec lui dès qu'il va revenir, et écouter ses envies. Il peut faire beaucoup, beaucoup, beaucoup mieux que ce qu'il a fait à Nice.

 

C'est le cas de nombreux Niçois. Vous attendez-vous à une saison de transition ?

 

Si on commence à dire ça, on fait les choses à moitié. Il faudra attendre que l'effectif soit constitué, mais on ne peut pas dire qu'on y va progressivement. Si je dis aux gens qu'on va faire une saison de transition, personne ne va venir au stade, mais on ne vend pas du rêve en disant qu'on va titiller Lyon, Paris, Marseille, et Lille. Je m'interdis de parler de saison de transition, car ça va entrer dans le vestiaire et ça va être tranquille. Et s'il y a un mot dont j'ai horreur, c'est tranquille. Il n'y a pas de confort. C'est dur le haut niveau, il faut se faire mal tous les jours, sur et en dehors du terrain. C'est la différence entre un champion et un joueur de foot.

 

Où se situe Nice dans le paysage de la L1? 

 

Paris est à part. Lyon est un club habitué à la C1, une grande institution avec un des plus grands présidents français, et il y aura toujours Marseille qui est très actif sur le mercato. Le voisin Monaco travaille bien et sera là, avec Lille qui a son statut de champion. On doit se battre avec les autres équipes.

 

Vous ne citez pas Bordeaux, qui est racheté par votre ancien président à Lille, Gérard Lopez ? 

 

Je l'ai eu au téléphone hier (mardi), je suis très content.

 

Pour lui, pour Bordeaux ?

 

Pour lui. Personne ne peut imaginer comment cet homme a souffert.

 

De quoi ?

 

D'avoir perdu le LOSC (en décembre dernier). C'était un homme attaché au club, un homme qui est allé au bout de ses idées, avec ses convictions, et qui a perdu le club. Mais sportivement, personne ne peut faire un reproche à Gérard Lopez : 2e, 4e, et on peut lui accorder qu'il a laissé un effectif pour être champion.

 

Il y a aussi des interrogations sur son modèle économique risqué

 

Je ne peux pas entrer dans ce paramètre. J'entends les commentaires mais vous savez la vérité, vous ?

 

La  vérité, c'est que Lille a besoin d'argent.

 

Mais qui n'a pas besoin d'argent en France, de beaucoup d'argent ?

 

Nice ?

 

Il y a Ineos, et dans une période de grosse incertitude économique, c'est une garantie. Et qui ne veut pas vivre dans cette région ? On a tous les atouts pour convaincre des joueurs de vivre l'aventure ici. Mais moi, je ne suis pas venu pour le soleil ou l'argent. Si ça avait été l'argent, je ne serais pas en France.

 

L'argent peut faire la différence entre plusieurs clubs français...

 

Jamais mes choix n'ont été dictés par l'argent. Ce qui est important, c'est l'identité du club, les personnes. Quelques fois, vous prenez des coups de poing dans la gueule, c'est ce que j'ai vécu cet été. Mais je crois en l'aventure humaine. »