Ralenti par un transfert avorté au Barça, puis une blessure enquiquinante, l'épatant milieu niçois est sur le point de retrouver le terrain avec l'insouciance et l'intelligence qui le caractérisent. Rendez-vous avec un drôle de joueur, et un sacré bonhomme.
Revenons un peu en arrière. Vous avez vécu un été compliqué avec un transfert qui semblait imminent à Barcelone, finalement avorté. Comment se remet-on d'une telle désillusion ?
Je n'ai pas trop envie de revenir là-dessus. Il y a eu une période compliquée quand j'étais en sélection. La fin du mercato est arrivée quand j'étais au Gabon (NDLR: la Côte d'Ivoire a gagné là-bas 0-3, le 2 septembre). Je me suis reconcentré avant le match à Abidjan et, à mon retour à Nice, j'avais mis ça de côté. Pour moi, c'était oublié, on passait à autre chose, au match contre Monaco (victoire 1-0, le 9 septembre).
Est-ce vraiment aussi simple d'oublier, sachant que le Barça est le club où vous avez toujours rêvé de jouer ?
Ça m'a touché mais j'ai pris ce moment avec du recul. Je me suis remis sur ce que je sais faire, jouer au football. Il n'y avait pas d'autre solution, ni de meilleure,que de replonger dans le football. Rester à ressasser n'aurait servi à rien. Je reconnais que ça n'a pas été simple. Mais aujourd'hui, il n'y a plus aucune trace dans ma tête de tout cela. Je pense à l'avenir, je ne ressasse pas le passé. Il y a beaucoup de belles choses à faire ici.
Durant le mercato, vous avez soupçonné une surenchère de Nice qui aurait fait capoter le transfert. A-t-i1 été plus facile d'oublier à partir du moment où les dirigeants catalans ont déclaré qu'ils avaient d'autres priorités que vous ?
Même si c'est Barcelone, je ne veux pas être un joueur qu'on prend par défaut. Je sais de quoi je suis capable sur un terrain, je crois démontrer quelques qualités. Donc, si on me choisit, je veux que ce soit un choix entier, que je sois une priorité, pas un joueur de complément. C'est pour cela que je me suis remis tout de suite la tête au foot. J'ai beaucoup rêvé de Barcelone, mais le message du Barça a été clair. Beaucoup de joueurs auraient mis davantage de temps pour passer à la suite. Certains auraient peut-être parlé dans les médias. Pour moi, un joueur parle sur le terrain, pas dans les médias. Ceux qui parlent beaucoup sont des joueurs moyens, qui ont besoin de se faire connaitre. Je me suis répété que, d'un côté, il y avait un club où je n'étais pas la priorité, et de l'autre un club qui m'aime. Ç'aurait été idiot de bouder parce qu'un club ne t'a pas pris au lieu de donner à celui qui t'aime.
Si quelqu'un s'est réjoui de vous conserver, c'est votre entraineur! On sentait Lucien Favre fataliste et malheureux à l'idée de vous voir partir.
On a discuté ensemble. Il m'a dit: "Je souhaitais de tout mon cœur que tu ailles à Barcelone car c'est un club qui t'aurait fait grandir, mais ça ne s'est pas fait. Fais une grosse saison et on verra l'été prochain." En même temps, il n'a pas caché que c'était un soulagement que je reste, mème s'il me souhaitait tout le bonheur possible.
Vous dites qu'il était soulagé, Cela prouve bien que vous êtes un, voire le joueur clé de son projet de jeu.
Je donne le maximum de moi-même, mais je ne suis pas l'homme à tout faire. La preuve, c'est que même quand je suis sur le terrain, on peut perdre. On est une équipe prise en charge par un très grand technicien, un très grand coach que je respecte beaucoup et qui finit toujours par trouver une solution. Même quand il y a des blessés, beaucoup d'absences, il sait créer quelque chose qui nous permet de rivaliser. C'est un mérite collectif On n'a pas de joueur capable de faire la différence seul, donc la réponse est forcément collective. Et je suis fier de ce jeu qui plaît à tous les amoureux du foot.
D'après vous, Lucien Favre trouve toujours les solutions, mais en ce début de saison, il peine à y parvenir. Comment expliquez-vous ces difficultés alors que l'effectif ne semble pas avoir été profondément bouleversé ?
L'effectif n'a pas trop changé mais l'équipe si, du onze de départ, il y a Wylan (Cyprien) qui s'est blessé et ne revient que maintenant, Ricardo (Pereira), Dalbert et Baysse ne sont plus là, comme Belhanda et Eysseric. Ce n'est pas rien. On avait trouvé des automatismes, on jouait ensemble les yeux fermés, et le coach alignait souvent la même équipe puisqu'on a été vite éliminés de la Ligue Europa et qu'on avait moins de matches. Ces titulaires partis, il faut les remplacer par des joueurs qui arrivent ou qui ont peu joué la saison dernière. Ajoutez à cela les éliminatoires du Mondial pour les internationaux et les barrages (de C1) qui nous ont beaucoup obsédés et épuisés.
A ce point ?
Ces barrages ont pris beaucoup de place dans les têtes. Difficile d'aller jouer à Amiens quand tout le monde attend d'affronter Naples. Sans manquer de respect à Amiens, ce n'est pas la même chose. On a manqué de concentration, on a fait preuve de relâchement, on était dans l'attente, dans l'impatience. Tout cela fait qu'on a mal démarré et que c'est plus compliqué car il faut retrouver un équilibre. Mais le Championnat est long, on va batailler pour remonter la pente. L'Olympique de Marseille était dans le dur l'an dernier et a fini cinquième. Ce qui est amusant, c'est qu'aujourd'hui on est considéré comme un gros du Championnat, mais il ne faut pas oublier que nous sommes Nice. On n'a pas changé. Mais comme on a fini quatrièmes et troisièmes, on nous attend.
C'est parce qu'il a vite senti ces difficultés à venir que Lucien Favre était content de vous conserver. Vous êtes un relais pour lui ?
Oui. Il me dit de beaucoup parler avec Allan Saint-Maximin, qui est un jeune joueur. Il y a des choses qu'il faut lui répéter et le coach compte sur moi pour ça. Même chose avec Pierre Lees-Melou, qui vient d'arriver. Pour ça, il faut être respecté, sinon le jeune, il ne t'écoute pas.
Et vous l'êtes dans ce vestiaire ?
Je ne force jamais les choses, que ce soit sur le terrain ou en dehors. Si tu forces ta nature dans le vestiaire, tu n'es pas pris au sérieux. Je parle peu, mais quand je parle, on m'écoute. Il y en a qui parlent tout le temps et quand ils prennent la parole, on ne les écoute pas car on a tellement l'habitude de les entendre... Dante a ça en lui, donc il parle naturellement. Moi, j'écoute et j'observe. Et si je prends la parole, c'est pour dire quelque chose de précis. C'est comme ça qu'on se fait respecter. Pour être écouté, il faut être respecté. Je suis bien avec tout le monde, je parle, je plaisante, mais quand il faut être sérieux - et je sais faire la différence quand il faut l'être ou pas -, on m'écoute.
Avec le retour de Papy Mendy, associé à Koziello et à vous, vous allez avoir des repères au milieu.
Le milieu, c'est le point fort de Nice, et il s'est renforcé avec Sneijder et le retour de blessure de Cyprien. Pour en avoir souvent discuté avec lui, je sais que le coach aime le 4-3-3. Mais, aujourd'hui, à part Saint-Maximin, on n'a pas vraiment d'excentrés. En plus, on a deux attaquants, Mario Balotelli et Alassane Plea, qui sont efficaces, donc autant en profiter plutôt que d'en sacrifier un. Le coach est pragmatique. Il ne faut pas se focaliser sur un système idéal mais jouer avec ses forces plutôt que dénaturer ce que tu veux faire au départ.
On sent que vous avez une relation particulière avec votre entraineur.
Il m'apprend à devenir un joueur de très haut niveau. Le coach Puel m'a appris à devenir mature, à ne pas tomber dans la facilité, à rester professionnel du début à la fin. Le coach Favre, lui, m'apprend tout ce qu'il faut pour passer de bon joueur à grand joueur. Quand on combine ces deux choses-là, on ne peut que progresser.
Comment s'y prend-il ?
Il est très précis. Avec lui, on travaille beaucoup avec la vidéo, on dissèque tout dans le moindre détail, avec toujours en tête que si on applique tout ça, si on s'y tient, on va forcément progresser. C'est à la fois précis et bien dit 11 pose une loupe sur tous ces petits détails qu'on ne voit pas durant un match. Et si tu les gommes, tu seras meilleur. "Tu aurais dû mettre tel pied, sprinter sur trois mètres à tel moment, faire telle course...", tout ce qu'on ne voit pas par manque de lucidité, par fatigue. Un joueur assez malin, assez intelligent, ne peut que progresser.
Et en quoi avez-vous le plus progressé ?
J'ai beaucoup progressé en termes de régularité et sur le plan des courses. Avant, je me contentais de ce que je faisais offensivement, j'étais moins rigoureux sur le plan défensif. Avec le coach Favre, j'ai progressé dans l'équilibre des deux. On ne peut pas progresser que dans un domaine. Je ne veux pas entendre de moi: "Il est bon mais... ". Je ne veux plus de "mais". Et je veux enchaîner avec une grande saison.
Pour donner des regrets à Barcelone ?
Non, pour moi. Je ne veux rien prouver à qui que ce soit. Je veux juste montrer à Nice que je suis resté parce que j'aime ce club, pas par dépit. Et si je pars de Nice un jour, ce sera forcément pour une équipe qui joue au ballon, qui joue au foot. Si je n'en trouve pas parce qu'elles estiment que je suis trop vieux, j'arrêterai ma carrière.
À propos de Barcelone, vous aviez lu ce que Xavi a dit de vous lorsqu'il était question de votre transfert ? Que vous aviez "l'ADN Barça" ?
C'est encourageant, ça donne une formidable motivation pour continuer à travailler, progresser,surtout quand ça vient du joueur qui est votre modèle.
Xavi est votre modèle mais à vos débuts, en Côte d'Ivoire, c'était l'Argentin Marcelo Gallardo, au point qu'on vous a surnommé ainsi.
Au pays,dans mon quartier, si vous dites Mika, on ne saura pas de qui vous parlez. Mais si vous dites Galla, on saura. Je jouais numéro 10.
Regrettez-vous parfois d'être descendu d'un cran sur le terrain ?
Quand tu es un jeune joueur, particulièrement un milieu de terrain, il faut que tu aies une identité. Il faut qu'on sache quand on parle de toi que tu as cette spécificité, que tu as ça en toi. C'est comme ça que tu sors du lot. Si tu es comme les autres, si tu ne te distingues pas, tu es dans la masse et tu ne progresses pas. Il faut être un joueur particulier pour progresser. Et il faut ajouter des stats : des buts, des passes décisives, des duels gagnés, tout ce qui te distingue et s'ajoute à ta qualité première.
Quelle est-elle, cette qualité première ?
Moi, ma particularité, c'est cette vision du jeu. Les buts, les passes décisives, c'est un plus, seulement un plus. Car si tu ne penses qu'à tes stats, tu sors de ton registre, tu dénatures ton jeu. J'ai compris ça avec le coach Puel. Quand on force sa nature, on dénature. Il m'est arrivé de vouloir faire la différence et j'ai été en difficulté. Mais si tu es performant dans ton registre, et qu'en fonction du jeu tu te projettes et tu marques, c'est du bonus. Mon but contre Marseille (le 1er octobre, 2-4), je ne force rien, c'est dans la logique du jeu. Quand tu veux être le sauveur, que tu te fixes un objectif de buts ou de passes décisives comme un attaquant, tu déjoues. Il faut savoir ce dont le jeu a besoin.
Quelle doit être la qualité première d'un joueur ?
L'intelligence, la lecture du jeu. Un joueur doit être intelligent, quel que soit son poste. li doit percevoir les choses, s'adapter dès qu'il sent que quelque chose ne va pas. Le défenseur doit s'adapter aux attaquants, à leurs appels. Même chose pour l'attaquant, sinon il se fait manger systématiquement. On ne peut pas se contenter de jouer en ne misant que sur ses points forts. Le joueur doit sans arrêt essayer de comprendre ce qui se passe et chercher les solutions. Que tu sois dominé par ton adversaire ou que tu le domines, tu dois garder ta lucidité, ton analyse, pour maintenir ta domination ou combler l'écart.
Quand on vous écoute, on comprend pourquoi Lucien Favre était malheureux à l'idée de vous voir partir! Votre conception du jeu, vos qualités, c'est tout ce qu'il aime: technique, mobilité, jeu vertical, passes qui cassent les lignes, qui déséquilibrent...
Jeune, en Côte d'Ivoire, je jouais davantage numéro 10, derrière l'attaquant,en 4-2-3-1 ou en relayeur en 4-3-3. J'étais plus proche du but, plus dans la recherche de la passe décisive. Arrivé au Portugal, à Porto puis à Paços de Ferreira, j'ai eu un entraîneur, Paolo Fonseca, aujourd'hui au Chakhtior Donetsk, qui m'a appris à comprendre le jeu. On jouait en 4-4-2, on faisait des exercices de passes verticales, de patience dans le jeu. Le coach Puel a remarqué cet aspect de mon jeu et m'a fait signer en me disant que dans le Championnat de France, il n'y avait pratiquement pas de joueurs qui ont cette vision verticale du jeu et des joueurs, et que, s'il me voulait à Nice, c'est parce que j'avais cette capacité.
Ça se travaille ?
Ça se travaille par rapport aux autres, par rapport aux déplacements. Il ne faut pas penser petit mais voir large. Quand le ballon est sur le côté, les équipes ont tendance à s'élargir et resserrent quand il est dans l'axe, puis élargissent à nouveau... Pour ça, il faut alterner, forcer l'adversaire à élargir. À toi de choisir le bon moment pour trouver la trajectoire lorsque l'espace s'ouvre.
Vous avez des équivalents en Ligue 1 ?
Marco Verratti. En lui, je vois ma façon de penser, de jouer, de concevoir Je football. Je l'apprécie car il crée du jeu, il bonifie ceux qui sont autour de lui. Il possède également cette vision large. C'est un modèle. Je regarde les matches de Paris, j'essaie de m'en inspirer. Il sait jouer long, jouer court, etc. Certains disent que je suis plus fort, mais je crois qu'il a de l'avance. C'est vrai aussi qu'il a des joueurs autour de lui qui lui facilitent les choses. Mais, moi non plus, je n'ai pas à me plaindre. Le talent, on l'a aussi à Nice, même si ça manque d'expérience en comparaison.