Quand vous étiez joueur, que vous imaginiez-vous faire dans votre après-carrière ?
Je ne me suis jamais posé la question. Je savais une seule chose, c'est que je ne voulais pas être entraîneur. Je ne pense pas avoir le caractère pour faire ça. L'entraînement en soi n'est pas quelque chose qui m'attire. Je préfère voyager, voir des matches, observer des joueurs. Je m'attarde beaucoup plus sur le joueur et son analyse que sur l'aspect purement tactique d'une équipe. Ma passion est plus là.
Et comment avez-vous basculé dans le recrutement ?
À 31 ans, je joue à Châteauroux (2005, en L2), je décide d'arrêter parce que j'essaie trois fois de revenir d'une blessure à l'aine et ça ne fonctionne pas. Donc je rentre à Lyon, avec ma famille. Je ne me pose pas la question de ce que je vais faire. Et on me tend la main, Michel Denisot notamment, avec Canal+, et l'Olympique Lyonnais avec OL TV au départ. Je m'étais toujours dit une chose : si tu veux rester dans le football, ne t'éloigne pas trop longtemps du football, parce que le football t'oubliera vite. Faire des commentaires de matches me permet de rester en relation avec pas mal de gens, jusqu'au moment où, en 2009, j'enquille là-dedans. Il y a Claude Puel à Lyon, et Rémi Garde est directeur du recrutement. Ils me demandent de travailler avec eux pendant six mois, sur un premier mercato, et ils me disent : ''Si ça se passe bien, tu continues...''
Quel type de relation avez-vous avec vos joueurs et collaborateurs ?
La distance, ce n'est pas mon truc. J'aime partager les choses, avoir des échanges réguliers. Avec le coach, on échange beaucoup sur des choses qui se sont passées sur le terrain ou dans le vestiaire. J'aime ça. Surtout, ce qui m'importe, c'est avoir une grande confiance avec les personnes avec qui je travaille. À Nice, vous êtes pourtant arrivé seul. Parce que je n'avais pas de crainte. J'ai peut-être une confiance en moi qui me permet de me dire : ''J'arrive et je vais m'adapter.'' Je suis quelqu'un qui s'adapte très, très vite aux gens qui sont autour de moi.
Parce que vous avez connu beaucoup de clubs (7) quand vous étiez joueur ?
Peut-être. Mais je suis assez facile à vivre, je pense. Je ne me prends pas pour un directeur sportif qui a fait ci ou ça. J'ai fait des choses - bonnes, moins bonnes - mais je reste les pieds sur terre. Et je suis quelqu'un d'honnête. Je ne suis pas un tordu. « À une période, j'étais accroché aux réseaux sociaux, je regardais tout ce qui se disait, et j'ai mis de côté, parce que ça m'a desservi d'une manière incroyable »
Florian Maurice Avec la presse, vous entretenez des rapports très distants.
Je ne cherche pas à avoir de bonnes relations avec vous parce que vous pouvez m'apporter quelque chose. Je m'en fous en fait. Je sais que ça se passe beaucoup comme ça, mais je ne suis pas là-dedans. À une période, j'étais accroché aux réseaux, je regardais tout ce qui se disait, et j'ai mis de côté, parce que ça m'a desservi d'une manière incroyable. À Rennes, je disais : ''À partir du moment où M. Pinault est satisfait de mon travail, ça me va.'' Je n'attends pas qu'on dise : ''Florian Maurice, c'est le meilleur directeur sportif.'' Je ne fais pas ce métier-là pour ça.
Dans vos échanges, les autres clubs, les agents et les joueurs s'imaginent-ils l'OGC Nice plus riche qu'il ne l'est ?
Oui. Les gens n'arrivent pas forcément à faire la différence entre le propriétaire et un club. Mais il y en a une entre avoir un propriétaire immensément riche et un club qui doit subvenir à ses besoins. « Pour attirer un joueur à Rennes, il faut très souvent payer plus cher que la valeur du marché, parce que derrière, il y a un propriétaire incroyable, les gens le savent » Était-ce pareil à Rennes ? Bien sûr. Pour attirer un joueur à Rennes, il faut très souvent payer plus cher que la valeur du marché, parce que derrière, il y a un propriétaire incroyable, les gens le savent.
Recrutez-vous les mêmes joueurs où que vous soyez ?
À Rennes, on a souvent été sur les mêmes joueurs qu'à Nice. L'exemple pour moi, c'est Enzo Le Fée, qui peut venir à Nice et qui vient à Rennes (à l'été 2023). On était sur le même style de joueurs. Après, ça dépend de l'objectif que tu as. Est-ce que c'est faire une équipe un peu plus mature, avoir des résultats plus rapidement ; ou développer des jeunes pour amener de la plus-value au club ? lire aussi Toute l'actualité de la Ligue 1 Et cet été, quel était votre objectif ? C'était de former une équipe qui ait des résultats, avec des joueurs qui ont un peu plus d'expérience. Ça s'est vu : il y a très peu de joueurs de 17, 18 ans qui sont arrivés. Vous avez fait venir Tanguy Ndombele (27 ans), que vous connaissez depuis votre époque lyonnaise.
Cela a-t-il été difficile de convaincre au club qu'il pouvait redevenir un très grand joueur ?
Pas vraiment. Mais ça ressemble à un pari. Évidemment. Mais quand j'en parle, on ne me dit pas : ''Tu es fou.'' La confiance, elle est là aussi. ''Vas-y, on y croit, on est avec toi, que ça marche ou pas, on est tous ensemble, on y va.'' Je n'ai pas eu de restrictions. Évidemment, j'ai amené le truc : la réflexion, c'était que le joueur coûtait 0 ; il reste en capacité de faire des choses. Avec la cellule performance, on avait anticipé ce qu'il faudrait faire avec lui. On a eu une bonne discussion sur son lieu de vacances, il m'a dit qu'il était prêt pour le défi. « Il y a eu des super deals sur un aspect purement économique, mais il y en a d'autres qui ont une part importante au niveau émotionnel »
Depuis que vous êtes directeur sportif, quel est le plus beau coup que vous ayez réalisé ?
Tout le monde me parle de Jérémy Doku parce qu'il a été vendu très cher à Manchester City(acheté 26 M€ en 2020 à Aderlecht, Rennes l'a revendu 65 M€ en 2023). Mais je suis aussi fier d'un Lucas Tousart, que je suis allé chercher à Valenciennes en Ligue 2, pour 2 M€ et qui a été revendu 25, alors qu'au départ, tout le monde me dit : ''Mais qu'est-ce que t'as fait ?'' Il y a eu des super deals sur un aspect purement économique, mais il y en a d'autres qui ont une part importante au niveau émotionnel. Tanguy (Ndombele) est aussi un exemple important, au-delà du fait qu'il a été vendu pour un montant très important à Tottenham (60 M€ hors bonus par Lyon, en 2019). Je suis toujours resté en relation avec lui avec des petits SMS de temps en temps.
Sans vous dire que vous alliez le retrouver plus tard ?
Non, lorsqu'il part à Tottenham, je ne me dis jamais que je vais pouvoir le récupérer dans trois, quatre ans. Mais on ne sait pas dans la vie. Et puis, il faut garder du réseau, parce que ces personnes peuvent te donner des informations dont tu auras besoin pour un joueur avec lequel ils jouent ou ils ont joué. Avec lui, je peux avoir des informations sur Galatasaray et Naples ; sur City avec Jérémy Doku ; sur l'Union Berlin avec Lucas Tousart ; sur Leverkusen avec Martin Terrier. J'essaie de garder de la connexion parce que ce sont des mecs avec qui j'ai passé de bons moments et qui ont été tops.
Pour mieux comprendre comment vous recrutez un joueur, peut-on détailler un dossier ? Comment avez-vous repéré Moïse Bombito en MLS, pour le faire venir à Nice cet été ?
Je suis en relation avec son agent depuis un certain temps car c'est aussi l'agent de Jonathan David, et Jonathan David, j'avais essayé de le faire venir à Lyon à l'époque, avant qu'il aille à Lille (en août 2020). Il y a un an ou un an et demi, il me parle de Moïse, un défenseur central. À Rennes, où on travaillait avec des données techniques et physiques, il ressortait de manière assez incroyable sur une donnée forte qui est la vitesse. Quand tu as un mec qui court à plus de 36 km/h, il y a des alertes. On regarde, on se dit que c'est pas mal, même s'il y a des trucs à améliorer sur le plan tactique. Quand j'arrive à Nice, je sais que Jean-Clair Todibo doit partir (il a été prêté à West Ham). On fait une analyse, on voit avec la cellule quels sont les défenseurs centraux qui ressortent et quels moyens on a. Les moyens font qu'aujourd'hui, on ne peut pas payer 10 ou 12 M€ pour un central. On avait d'autres idées, beaucoup plus onéreuses au départ, où tout le monde était OK. Mais avec les droits télé, on s'aperçoit qu'on ne peut pas faire. Donc on part sur Moïse (recruté pour 7 M€ aux Colorado Rapids).
Vous l'aviez observé ?
En vidéo mais pas en live. Mais à Rennes on avait décortiqué tous les aspects techniques, tactiques, et ici aussi. Tu sais ce que tu as aujourd'hui comme joueur. Tu sais qu'il y a un développement à faire parce que ça ne fait que dix-huit mois qu'il joue en équipe professionnelle malgré ses 24 ans. Et à un moment donné, il faut y aller et miser. « Tu sens que ça se met en place, que tout le monde s'entend bien. Tout ça fait qu'on va avoir des résultats, j'en suis convaincu Ce n'est pas stressant de mettre plusieurs millions d'euros sur un joueur ? Je ne pense pas comme ça. On me donne des moyens pour faire tel ou tel joueur et on décide de manière collégiale. Quand je fais, je me dis que ça va fonctionner et qu'on va tout faire pour le mettre dans les meilleures conditions. Il y aura des moments peut-être un peu plus difficiles, mais Moïse a les qualités pour jouer en Ligue 1 dans un club comme Nice. Et surtout, il y a autre chose : la personnalité du joueur. Tu le vois quand tu échanges avec lui, c'est un mec intelligent, avec un bon état d'esprit. Quand tu fais une visio, tu ressens des choses. Sur le terrain, tu vois des choses : quand il encaisse un but, quand il fait une erreur, quand il fait quelque chose de bien. Tout ça, tu le perçois.
Quelle a été votre plus grande fierté de l'été ?
Je ne vais pas ressortir un joueur mais plutôt mon intégration. Il ne faut pas oublier qu'en plus du nouvel environnement, il y a un nouvel entraîneur (Franck Haise) que je ne connaissais pas, et qui venait avec son staff, où je ne connaissais personne. Ce n'est pas simple. Mais tu sens beaucoup de bienveillance de la part de tout le monde pour bien t'intégrer. Tu sens que ça se met en place, que tout le monde s'entend bien. Tout ça fait qu'on va avoir des résultats, j'en suis convaincu. Je n'ai pas de crainte. »