A l'occasion du match Montpellier - Nice, nous avons suivi de l'intérieur le périple en car de supporters ultras de l'OGCN. Une immersion édifiante de treize heure trente.
C’est ma pire expérience en tant que chauffeur. J’ai dû faire une trentaine de déplacements de supporters ultras, mais là, c’était vraiment les pires.» Quelques heures après avoir conduit un car d’une cinquantaine d’ultras de l’OGCN à Montpellier pour un match de L1, Laurent, quarante et un ans, était encore sonné. «C’est à cause de six ou sept individus. Je leur mets 0 sur 10. Mon outil de travail est fortement dégradé. Pour remettre le car en état, je pense qu’on devrait en avoir pour huit-dix jours. Ils ont pété de tout.» Notamment la porte des toilettes.
DIARRHÉE, SLOGANS ET TCHÉTCHÈNES.
Vers 14 heures, le 25 janvier dernier, un car de supporters niçois, composé, entre autres, de sympathisants des Ultras Populaire Sud, groupe né en 2013 et qui a pris le relais de la Brigade Sud, dissoute en 2010 par le ministère de l’Intérieur pour violences, quitte le stade du Ray, direction Montpellier. «Tous à poil et on se caresse», beuglent ces supporters juste avant le départ. Un refrain braillé un nombre incalculable de fois pendant l’expédition. À peine quelques kilomètres avalés qu’une voix lâche au chauffeur: «Y a quelqu’un qui a eu la diarrhée. Donne-nous de l’eau.» Rapidement, un autre slogan fuse dans le car: «Et les condés (NDLR : forces de l’ordre), c’est des pédés.» Entendu celui-là aussi en boucle pendant treize heures trente.
«Est-ce qu’il reste de l’alcool dans ce putain de bus?», assène un type moins de deux heures après le départ. Bière, vodka, pastis, sky... ça fait un tabac! Sky? Whisky, si vous préférez. Sans oublier les mélanges. L’odeur de shit se fait entêtante. Un mot d’ordre fuse: «On ne chante pas à moitié!» Laurent, le conducteur, s’agace: «Ne tapez pas sur les vitres!» Là-bas, on remarque un type avec le mot «ULTRAS» tatoué sur un bras. Juste avant le deuxième arrêt pipi, vers 16 h 15, un Niçois lance un appel au calme: «Gardez-le propre, ce bus. Jetez ce que vous avez. On n’est pas des sales clochards, on n’est pas des Tchétchènes, on n’est pas des Roumains. On nous a donné des sacs en plastique. Merci les gars.»
PÉTARDS, «PETITE PASTÈQUE» ET STRIPTEASE.
On s’arrête de nouveau dans une aire de repos sans boutique, et ce sera toujours le cas pendant le voyage. «J’ai reçu cette consigne de mon employeur. S’il m’a demandé ça, c’est qu’il a forcément dû recevoir cette consigne de plus haut », nous dira le chauffeur après coup. Tout ça pour éviter d’éventuels vols dans les stations. Phénomène qui existe chez les ultras, et pas qu’en France. Cinq pétards explosent, des fumigènes sont allumés. Des supporters s’agglutinent à l’avant du car, ce qui agace le chauffeur: «Je ne veux pas qu’on me casse les couilles devant le rétro.» L’allée centrale du bus est constamment occupée. Ça saute, ça remue, en avant les pogos! Les supporters se succèdent au micro pour hurler des chants. Forcément, au bout d’un moment, un câble se débranche et l’appareil devient inutilisable.
Les kilomètres défilent, on pense à un ultra niçois rencontré la veille à Nice, Damien, vingt-neuf ans, qui bosse dans la menuiserie-ébénisterie. Il n’est pas du déplacement. «J’ai pris six mois d’interdiction de stade, nous avait expliqué ce joueur de rugby (première-ligne). Lors du match contre Bordeaux cette saison à l’Allianz Riviera, un autre supporter de Nice s’est moqué de moi en tribune. Je lui ai alors mis un coup de poing. C’était une petite pastèque. Malheureusement, j’ai été pris en flagrant délit par les caméras du stade. Je dois pointer au commissariat pendant les matches de Nice. Ça bousille les week-ends. Je regrette mon geste.»
Un supporter de l’OGCN, surnommé «McDo», se met à faire un strip-tease. Il balance ses chaussures, enlève son jean, on lui retire son tee-shirt. Un pénis est dessiné en rouge dans son dos, un soutien-gorge aussi.
*Soudain, le chauffeur pique une grosse colère. Un ultra lui a piqué sa casquette. Il reprend son bien et le repousse. «Même si son acte est fait sur le ton de la plaisanterie, il aurait pu avoir des conséquences dramatiques. C’était un acte irresponsable, dangereux. On a failli se taper un camion. J’étais en train de doubler un poids lourd, la chaussée était glissante, on était sur l’autoroute... Je n’ai pas envie de mourir au volant d’un car pour un connard qui a envie de jouer. J’ai une fille de dix ans qui m’attend à la maison. Je lui ai aussi dit que j’allais le fracasser.»
SKIS DU«BERGER », PÂQUERETTES ET CONCOURS.
Aux alentours de 18 heures, les forces de l’ordre, en nombre, attendent le car à l’entrée de Montpellier. En voyant les condés, ça s’excite encore plus dans le car: ça éructe aux vitres, les insultes pleuvent ! Des motos de la police et au moins une estafette de gendarmerie nous escortent jusqu’à la Mosson. À peine descendus de l’autobus pas vraiment impérial, les fans niçois font rougir les fumigènes et exploser en série les pétards. Dans la nuit noire, on passe ensuite, tels des zombies, entre des arbres et une forêt de forces de l’ordre pour rejoindre le pied de la tribune. Des policiers nous filment.
Avant d’entrer dans le stade, les supporters niçois applaudissent un des leurs qui vient d’arriver en vélo sur lequel est «arrimée», on se demande comment, une paire de skis! «Le berger, le berger!», se fait-il acclamer. L’homme porte une barbe nourrie. Paul Capietto a soixante-sept ans. «Je suis professeur de ski troisième degré. En 1965, je faisais skier Sacha Distel à Megève.» Le 5 janvier dernier, il avait assisté à Nantes-Nice (Coupe de France), puis il est allé encourager les Aiglons à Rennes six jours plus tard (L1), avant de revenir à Nantes le 15 janvier pour la défaite niçoise de la bande de Puel en Coupe de la Ligue (3-4). Et le voilà à Montpellier en ce 25 janvier... «Comme je m’endormais au volant, j’ai balancé mes voitures. Je roule depuis l’an 2000 avec ce vieux vélo.»
Nous voilà désormais dans le « parquage » visiteurs de la Mosson, où se trouvent environ 600 supporters niçois, dont la très grande majorité est venue dans l’Hérault en voiture. On reconnaît un môme, l’air heureux, qui avait voyagé dans le car, Amrick, neuf ans, grand fan de l’OGCN: «C’est mon premier déplacement. Je suis venu avec ma mère.» Il n’a pas froid aux yeux: «Il ne faut pas tellement avoir peur, parce que ça ne fait pas peur.» Qu’a-t-il pensé en voyant des ultras picoler et fumer dans le bus? «Ils me disent que je vais être comme eux. Mais je ne crois pas. Ce sera impossible. Mon père, si je bois et fume, il me tue. Je ne croyais pas qu’ils étaient aussi alcoolisés que ça.»ogcnice.info
Le match commence. Les ultras poussent chaudement les Rouge et Noir. Ça vibre, bon sang ! Adrénaline pure. À la demi-heure de jeu, Montpellier ouvre le score. Ça ne calme pas les fans visiteurs. «Le foot, on s’en fout! Faut qu’on nous entende à la télé », crie un mec dans un mégaphone. Le match s’écoule, et Nice souffre. «On ne vient pas pour le spectacle sur le terrain, mais pour l’ambiance», souffle en seconde période un membre des Ultras Populaire Sud, Sébastien, vingt-quatre ans, étudiant en droit. Quand on lui parle des nombreuses insultes de ces supporters, et de la mauvaise réputation des ultras niçois, il rétorque en souriant : «On est bêtes, on est idiots. Plus c’est au ras des pâquerettes et plus on aime. Ça nous fait rire. Même, parfois, c’est à celui qui sera le plus bête. C’est ça le concours. On se tire vers le bas.» Ça fait écho à ce que nous avait raconté la veille Renaud, ultra important de l’OGCN: «On n’est pas méchants, mais on est cons. Y a un côté stupide. Le but, c’est de provoquer l’autre pour le sortir du match. Et on a beaucoup d’autodérision.»
JACKIE, ROUPILLON ET POUBELLE.
La rencontre se termine par une défaite du Gym 3-1. Avant de quitter la Mosson, ce qui prendra plus de quarante-cinq minutes, les fans «nissarts» (niçois) chambrent les policiers de la SIR (section d’intervention rapide) qui les surveillent du terrain. Un de ces policiers, aux traits asiatiques, va prendre cher. Ainsi, pendant plusieurs minutes, les ultras crient «Jackie» en se levant, avant de se rasseoir en balançant du «Chan», et ainsi de suite. On voit la «victime» sourire. En quittant le stade, des mecs vocifèrent : «On est peu, mais on est pleins.» «On est surtout pleins », claque un autre. Bourrés, quoi. Vingt-trois heures : retour au car. Retrouvailles avec le chauffeur, qui n’a pas pu piquer un roupillon pendant le match pour se reposer un peu. «Je ne sais pas si vous avez vu dans quel état ils m’ont mis le car. Je ne peux pas dormir dans une poubelle pareille. Ils écrasaient les mégots par terre, le sol est taché, brûlé...» Une importante escorte policière permet au car de quitter Montpellier sans le moindre souci. «Même le président (Hollande) n’est pas aussi protégé avec son scooter », plaisante un Niçois. Un quart d’heure de route plus tard et le bus, en choeur, entonne: «On va aux putes et on aime ça!» Des passagers, qui n’ont pas mangé depuis de nombreuses heures, crient famine. Comme le chauffeur ne s’arrête pas dans des aires avec boutiques, ça met les crocs à certains. «On va te manger», «liberté pour l’estomac!», entend-on.
Pendant ce voyage retour, le chauffeur de notre car reçoit un coup de fil du conducteur d’un autre bus de supporters niçois, où se trouvent surtout des ultras du groupe Armada Rumpetata Nissarda. «Mon camarade a subi une pression psychologique avec des menaces d’agression. Il lui était reproché de ne pas s’arrêter dans les stations. J’ai appelé un référent sur Nice à la brigade judiciaire avec lequel on était en relation depuis le départ le samedi. Une personne apte à pouvoir intervenir et déclencher un dispositif policier dans un laps de temps restreint.» Juste après un péage, ce deuxième car s’arrête. Et un gendarme passera faire un tour. Un passager de ce bus, qui perd l’équilibre peu avant le péage, termine dans le pare-brise, qui s’étoile ! Le supporter, lui, est indemne.
POMPES, COIFFURES ET BARJOTS.
Peu avant 1 heure du matin, lors d’une nouvelle pause, des ultras font exploser un pétard sous un plot qui se déchire. Ils apportent l’objet, qui sent le brûlé, dans le car. Peu après un péage, un supporter, lui, fait des pompes sur le bitume à quelques mètres des voies de circulation! Deux passagères, elles,nous racontent leur passion pour l’OGCN. Calmes, Laura, vingt-trois ans, et Séverine, dix-neuf ans, assurent vivre un déplacement très sympa: «Les gars sont super gentils. Ils sont vraiment respectueux. Tout à l’heure, au stade, après le but de Nice, on a failli tomber, ils sont venus nous ramasser.» Elles assistent à des entraînements du Gym. «Des hommes nous demandent quel joueur on trouve le plus beau, qui a la plus belle coiffure. Mais nous, on se fout de ça. L’OGCN, ça fait partie de la culture niçoise. C’est notre ville, notre équipe.» Des mecs se mêlent à la conversation: «On n’est pas des animaux. On n’est pas des criminels. Tout ce que l’on demande, c’est juste à manger.» On repense alors aux propos tenus la veille à Nice par Frédéric Braquet, président des Ultras Populaire Sud, pas présent ce jour-là dans ce car. «On n’est pas barjots. On est des hommes, des vrais hommes. J’ai un casier vierge. Tu ne vas pas me faire passer pour un voyou. C’est un monde (celui des ultras niçois) où tu peux venir à poil, eh bien, on ne te met pas un doigt. Tu peux venir avec la caisse, on ne te l’arrache pas.» Braquet poursuivait: «On est montrés du doigt sans arrêt. Il manque une solidarité nationale entre les ultras des clubs. Ultra, c’est aussi être rebelle. Et je trouve qu’il manque la rébellion. On se fait trop sodomiser à tire-larigot. Trop de personnes interdites de stade douze mois pour rien...»
CINGLÉ, MÉNAGE ET TERMINUS.
À 2 h 23, notre voisin, très tranquille tout au long du déplacement et qui bosse dans une école d’hôtellerie, glisse: «Parfois, je me dis que je suis cinglé.» C’est vrai: tant d’heures de route, la fatigue... Mais la foi est là. Peu après 3 h 30, l’équipée rejoint le terminus, devant le stade du Ray. Un ou deux passagers mettent des bouteilles dans des sacs plastiques. Un peu de ménage. Des policiers municipaux de Nice regardent les ultras s’éloigner dans un froid de gueux. L’autre car, au pare-brise étoilé, arrive au Ray. Le chauffeur de notre bus certifie: «Le conducteur de l’autre car a entendu des mecs dire: “On va le suivre et lui casser la tronche au dépôt.” On a été escortés jusqu’au garage par le PC caméras et une voiture de police. »