À Nice, c'est quand l'hiver est sur le point de commencer que débute véritablement la saison. Ville de villégiatures et de perdition des aristocraties européennes depuis la fin du dix-neuvième siècle, c'est quand l'automne est tombé sur le reste de l'Europe qu'elle recueille dans la douceur de son climat et la lumière de son soleil bienveillant les visiteurs aux âmes fatigués et aux poches bien pleines. Le long de la promenade des Anglais, ils se traînent d'un bout à l'autre de la baie des Anges, se risquant même parfois à fouler les galets irréguliers de cette plage installée en centre-ville. Et ce n'est qu'une fois le soleil couché, qu'ils arrivent enfin à destination. Après 15 kilomètres de déambulation au bord de la baie coincée entre des hôtels de luxe et le ressac minuscule d'une mer aussi bleue qu'intrigante, ils s'installent enfin aux tables de jeux des casinos. C'est l'heure de miser leur date de naissance, de mariage ou de veuvage. L'ivresse n'est pas dans les gains, il est dans la mise. C'est ici que, samedi soir, dans la capitale de la Riviera française, les âmes les plus nostalgiques reconnurent immédiatement en cette affiche Nice-Reims les traces d'un passé glorieux et une bonne raison de miser sur le football plutôt que les machines à sous. C'étaient les années cinquante bénies du football français, celles du champagne, du Racing, de Vignal, de Justo, de Vic Nuremberg. Il n'était pas nécessaire d'avoir mille ans pour se rappeler qu'à cette époque, l'OGC Nice et le Stade de Reims se disputèrent chaque saison pendant dix ans le titre de champion et la seule place française en Coupe d'Europe. C'était le temps où les ballons n'étaient pas toujours très ronds, où les chaussures filaient des ampoules quand elles étaient trop neuves, c'était le temps où Nice, c'était le Real, et Reims le Barça.
La faute à Footix
Les années glorieuses disparues depuis trop longtemps, ils sont nombreux désormais à en vouloir indistinctement à notre Ligue 1, à toutes ces taxes qui « étouffent » les clubs français, aux supporters qui ne consomment pas assez, à nos pelouses pas assez vertes, à ces Footix de ne rien y connaître, bref à toutes ces choses, à tous ces gens qui empêchent le football gaulois de s'exprimer et de s'épanouir en Europe. Hier soir, après avoir fait perdre leur soirée à plusieurs milliers de personnes (0-0, on ne reviendra pas sur l'absence d'occasions, la multitude de fautes, l'indisposition du public), et plutôt que de reconnaître l'indigence du spectacle proposé, les joueurs ont tenu à défendre leur bilan face à ces spectateurs vraiment trop tatillons. « On se fait siffler, alors qu'on est dixièmes. Ce n'était pas la culture du public du Ray, c'est peut-être celle de celui de l'Allianz », se permit même Alexy Bosetti, 21 ans. C'était donc la faute du nouveau stade si, après une heure de jeu passée à se précipiter, à rater des transversales, Claude Puel sortit ses deux attaquants les plus talentueux (Bosetti et Cvitanich) pour les remplacer par deux milieux en manque de temps de jeu (Albert, puis Vercauteren). Ils peuvent toujours clamer qu'ils avaient voulu jouer « Plus vertical », comme Puel marmonna à la fin de ce match, mais pendant 30 minutes à domicile, le Gym joua sans joueur offensif, c'est-à-dire sans ambition. Le Rayo en Ligue 1.
Bien sûr, le Gym n'a que 40 millions d'euros de budget annuel à dépenser, il faut savoir profiter des choses simples, d'un point récolté ici ou là et, quand le printemps arrivera, se sauver héroïquement de l'enfer aux dernières journées. Bosetti d'en rajouter : « On n'est pas le Real Madrid. » Certes, mais l'ambition est-elle une question d'argent ? Combien faut-il de zéros alignés sur un compte bancaire pour aimer se passer le ballon, prendre des risques, réchauffer le public clairsemé un samedi soir d'automne ? Les nouveaux stades se rempliront-ils à coup de réalisme grognon ? S'il suffisait d'augmenter les budgets pour être ambitieux, le championnat espagnol aurait disparu depuis longtemps et le Rayo Vallecano (12e de la Liga avec 7 millions d'euros de budget l'an passé, 14 cette année) ne serait pas l'équipe européenne qui, derrière le Barça et le Bayern, bénéficie des meilleurs statistiques de possession et d'occasions générées. Il n'y a que les pauvres, les vrais, qui ont le droit de donner des leçons d'ambition, pas les tièdes. Paco Jémez, entraîneur du Rayo à 500 000 euros annuels nets (soit moins de la moitié de Puel) : « C'est la première fois dans le football moderne qu'un club a un budget aussi réduit que le nôtre, mais bon... L'idée qu'on a essayé de mettre dans la tête de nos joueurs, c'était qu'ils ne croient rien de ce qu'on dit d'eux au-dehors. Tout le monde disait qu'on serait les premiers à descendre en D2. Si on les avait crus, on serait descendus. Notre grande réussite, c'est de nous fixer nous-mêmes nos objectifs et voir jusqu'où nous sommes capables d'aller. Voilà pourquoi tout le monde a bien fonctionné : personne n'a cru que nous avions le plus faible budget. »
Apprendre à perdre
À force de répéter qu'il vaut mieux ne pas gagner plutôt que de perdre et se « contenter, avec Puel, d'un point pris dans l'adversité » à domicile, plutôt qu'un match à la hauteur de l'histoire glorieuse de ces deux monuments du foot gaulois (aucun 0-0 entre ces deux clubs en 50 ans de confrontations), on finira peut-être un jour par se sentir coupable d'aimer autant le risque. Quand ces tristes jours arriveront sur la Riviera, on soignera cette mélancolie au Palais de la Méditerranée. Entre deux machines à sous, on y retrouvera Paco Jémez jetant ses derniers jetons dans la fente. Pour nous convaincre de miser sur nos derniers espoirs, il nous parlera probabilités avec des exemples de foot : « C'est ce que je dis à mes joueurs : les matchs nuls ne servent absolument à rien ! Si le match termine par un nul, je suis aussi dégoûté qu'après une victoire. L'an passé, nous avons terminé avec 4 nuls et l'année précédente avec 3 nuls. Les joueurs le savent : le jour où nous faisons 12 nuls, on descend en D2. » Pour se sauver à tous les coups, il faut miser sur 13 victoires en 38 matchs (dont 19 à domicile). Point. Alors, samedi soir, comme pris de remords au moment où le quatrième arbitre annonçait 4 minutes de jeu supplémentaires, et après avoir gaspillé 30 minutes de jeu en 4-4-2 contre une équipe de Reims inoffensive, Puel fit entrer son second fils, Paulin, en attaque. Évidemment, ce match indigne de l'histoire de cette ville se conclut par l'inévitable colère du public niçois lassé de tant de prudence. Les vieux Nissarts du Ray (et du Palais de la Méditerranée) le savent bien ; pour être ambitieux, nul besoin d'être le Real Madrid. Commençons par être le Rayo Vallecano. Pour Puel, c'est déjà énorme.