Aligné par son père malgré des performances controversées, le fils de l’entraîneur niçois cristallise la colère du public et la gêne de certains coéquipiers.
Tranquille, droit comme un I, un poil appliqué. Un curieux mélange de méfiance et de naïveté; la méfiance du naïf, à moins que ce ne soit le contraire. C’était samedi au stade Michel- d’Ornano de Caen, une bonne heure avant une rencontre comptant pour la 17e journée de Ligue 1 qui allait voir l’OGC Nice s’imposer (3-2) en Basse-Normandie, et un présentateur télé entreprenait le défenseur azuréen Grégoire Puel, alors en reconnaissance sur la piètre pelouse du lieu, pour qu’il donne la température de la partie à venir. On a entendu quelques mots s’envoler, aussi glacials que l’air ambiant: «Etre plus tueur dans la surface », et Grégoire Puel (23 ans) s’en est allé, affichant cette expression un peu vide qui lui vaut le respect –manipulation zéro– de ceux qui le fréquentent. Grégoire est le fils de Claude, le coach niçois depuis juillet 2012. Samedi, comme souvent, la prestation du joueur a propagé un certain scepticisme le long des travées: difficultés techniques et un paquet de ballons joués vers l’arrière, une solution de facilité –dans le foot, on a toujours un joueur aisément accessible derrière soi– qui cassait la progression niçoise. Chose étrange : plus il manquait et plus Grégoire Puel tentait des trucs insensés ; le dribble smashé derrière la jambe d’appui de l’ex-futur Ballon d’or Cristiano Ronaldo ou des talonnades iconoclastes, signes d’inconscience (il se prend pour qui?) ou de force psychologique, au choix. On a gardé ça pour plus tard.
RECTITUDE. En attendant, dans le contexte d’une équipe azuréenne tout en vitesse et en finesse technique, Grégoire Puel jurait comme le monolithe noir apparu à l’aube de l’humanité dans 2001: l’Odyssée de l’espace. C’est ce que pense le public niçois, qui fait vivre un enfer au gamin depuis un an, sifflant tant et plus un joueur qu’il estime coopté par son entraîneur de père. Et c’est l’avis d’une partie de l’effectif niçois qui, en off, estime payer un certain tribut en termes de défaites à la présence du fiston: voilà une affaire peu banale. Elle traîne depuis 2013. En suspens quasi toutes les semaines : avec 45matchs en une saison et demie, Grégoire Puel est l’un des joueurs les plus utilisés par le coach.Auquel la question de confiance est parfois posée. Il n’y répond jamais. On peut le comprendre: difficile d’entrer dans l’argumentation quand l’interlocuteur met votre intégrité professionnelle en doute dans ces proportions. Au fil des rencontres, la réputation de grande rectitude intellectuelle de Claude Puel aidant, l’histoire est devenue de plus en plus mystérieuse, attirante, indécidable.Dans la semaine, un journaliste a posé la question de savoir pourquoi l’attaquant Eric Bauthéac avait été sorti à la mi-temps du match perdu (0-1) au Parc des princes le 30 novembre: Claude Puel a compris «Bauthéac plutôt que Grégoire Puel»(les deux étaient mal ce soir-là), c’était effectivement un peu la question, l’atmosphère s’est refroidie. Dans l’entourage du club, il se dit aussi que Grégoire a bon dos. Formé à l’Olympique lyonnais, où Claude entraînait, et viré en 2011 en même temps que son père –toujours en procès avec l’OL depuis–«par mesure de rétorsion» (Grégoire dans Nice-Matin), celui qui arbore un tatouage «Forza Puel» sur le mollet servirait parfois de défausse à des équipiers qui, aussi excellents joueurs de ballon qu’ils soient, ne sont pas tous emprunts de cette férocité et de cette dureté envers soi qui fait le compétiteur d’élite.
MENTAL. Cette histoire a son acmé. Au printemps, certains joueurs ont fait remonter à Puel le souhait de voir quelqu’un d’autre que Grégoire occuper le couloir droit. Celui-ci a été titularisé dans la foulée. Et son petit frère, Paulin Puel, 16 ans à l’époque, a découvert la L1 avec Nice le même soir.De manière directe ou pas, ce soir-là, Claude a assis son autorité sur ce dossier. Les joueurs concernés ont pigé. Nous, on ne sait pas. Le foot est leur chose. Samedi, après la victoire à Caen, on est allé écouter les acteurs niçois: entre un Mathieu Bodmer dépeignant une équipe«trop souvent en réaction»(il importe pourtant d’avoir l’initiative) et un Bauthéac expliquant que «les matchs perdus depuis le début de saison l’ont été par manque d’investissement mental parce que, pour le reste, ça joue au ballon», on s’est fait décrire une équipe agréable, légère, un peu indolente. Claude Puel a souri: «C’est sympa,mais ça n’est pas simple. Un groupe avec autant de joueurs techniques dans un championnat aussi dur, où il faut afficher sa personnalité et qui privilégie les blocs défensifs…J’assume.» On a filé là-dessus. En repensant à ce joueur qui détonnait techniquement, mais qui faisait tout au mental, à l’agressivité, et qui en remettait une louche à chaque geste manqué là ou des joueurs plus délicats se seraient cachés. Grégoire Puel est peut-être une manière d’exemple. Et ça ne doit pas être facile à vivre.