Marrakech, le week-end dernier. Ses chichas, ses riads, ses soirées, son Festival du rire organisé par Jamel Debbouze et ses footballeurs à chaque coin de rue. Dans la cité marocaine, ils étaient tous là, sauf lui. Les anciens coéquipiers de l’OM, comme Fabrice Abriel, Rod Fanni ou Mamadou Niang, son dernier capitaine à l’OGCNice Didier Digard,mais aussi son ex-directeur sportif olympien José Anigo… Tous là à se poser la même question, à se demander pourquoi Souleymane Diawara, leur ami, dormait au même moment à la prison des Baumettes, à Marseille. Mis en examen pour «extorsion de fonds et tentative» d’extorsion de fonds, l’ancien défenseur central de l’OM (de 2009 à 2014) a été placé en détention provisoire le 9 avril. Sa dernière demande de remise en liberté a été rejetée le 12 juin par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

 

 

BOLIDES À VIL PRIX


«Ce que je lis dans la presse me scandalise et me touche», confie Didier Digard. Le milieu de terrain n’est pas de la même génération. Ado, il a débarqué au centre de formation du Havre quand Diawara était déjà un des piliers de l’équipe fanion. Joueur confirmé, il l’a retrouvé à Nice au crépuscule de sa carrière, à 36 ans bien tassés. Il résume: «Souley, c’est un personnage central de la Ligue 1, aimé par tous ceux qui l’ont côtoyé,au Havre,à Sochaux, à Bordeaux,à Marseille ou à Nice. Il est d’une générosité immense.» Les soutiens public sont pourtant été rares.Mamadou Niang, l’ami d’enfance, a fait une demande de parloir fin avril. Refusée. «Moi, je n’ai même pas essayé, souffle Digard. Avec Mamad, on se sent impuissants. On ne veut pas le mettre encore plus en péril en clamant tout et n’importe quoi. J’émets une hypothèse: et si Souley avait affaire à un ou une juge qui a décidé de se faire un footballeur? Des sorties médiatiques n’arrangeraient rien, il faut calmer le jeu.» Didier Digard a grandi à la campagne, dans l’Eure, Souleymane Diawara dans le quartier défavorisé de Caucriauville, au Havre. «On vient de milieux où on ne porte pas plainte, où on règle tout soi même. Mais, sans changer, sans se renier, on peut évoluer.Et comprendre avec le temps que la justice française fera plus mal à son ennemi que si on lui avait cassé la jambe.» La descente aux enfers de Diawara a commencé dans un cadre idyllique, sur une plage privée de Saint-Tropez, à l’été 2012. Entre deux verres de rosé, Sidney Govou, finaliste de la Coupe du monde avec les Bleus en 2006, lui présente Adriano B., 35 ans aujourd’hui, ancien légionnaire devenu garagiste dans les Alpes-de-Haute-Provence.Tatouages imposants, muscles saillants, celui-ci intègre vite l’entourage de Souleymane Diawara, et se fait fort de lui trouver des bolides à vils prix.Pour 50000 euros, il lui promet d’abord un Range Rover venu d’Allemagne. Diawara fonce,paie comptant, mais la voiture se fait attendre, mois après mois. L’international sénégalais est indulgent et continue de rincer. Adriano B. se montre à toutes les fêtes et soirées d’anniversaire; Diawara et lui posent bras dessus, bras dessous. Avec sa compagne et leurs filles de 5 et 9 ans, ils se rendent même à plusieurs reprises au domicile du joueur,du côté d’Aix-en- Provence. Les deux petites ont adopté Diawara, qui le leur rend bien. Faute de Range Rover et ne pouvant lui rendre l’argent, le garagiste lui propose divers plans de compensation. Et, notamment, plusieurs chiots de race, reproducteurs, dont il évalue la portée à 5000 euros. Diawara est interloqué. Alors,début 2014, Adriano B. lui soumet un nouveau deal: s’il ajoute 10000 euros à la somme déjà versée, il lui dégote un Porsche Cayenne. Diawara accepte, va chercher le véhicule en région parisienne, mais découvre en faisant les papiers que le véhicule a été volé et «replaqué». Il fait opposition du chèque de 10000 euros, et les relations se dégradent sérieusement. Selon le garagiste, qui avait assuré le 4×4 au nom de sa société, le joueur a gardé un temps le véhicule et lui a rendu dans un état déplorable. Souleymane Diawara a assuré aux enquêteurs et au juge d’instruction que les manigances et petites escroqueries d’Adriano B. avaient fini par l’excéder. Il s’en est ouvert à l’un de ses sept frères, Adama, qui aurait, de sa propre initiative, monté une équipe pour se rendre chez le garagiste, dans une bourgade perchée sur le col des Granons, dans les Alpes-de-Haute- Provence.ogcnice.info


«DOUCHES FROIDES»


Le 18 mars 2015,peu après 22 heures, Adama Diawara et quatre gaillards arrivent à destination. La suite est floue. Aucune arme n’est recensée, aucun coup n’a été porté,et l’expertise médicale n’entraîne aucun jour d’incapacité totale de travail (ITT)pour la victime. Pendant cette soirée sous haute tension, des gendarmes, prévenus par la famille, sonnent à la porte et prennent le garagiste, puis sa femme, en aparté.Ceux-ci ne décrivent pas une situation alarmante, et les militaires repartent. «Il faut se mettre à leur place. Ils ont subi des menaces, une grosse pression psychologique, explique Me Sabrina Hachouf, qui défend Adriano.B. et sa famille. L’une des fillettes est suivie par un psy depuis, tout comme sa mère. Elle demande chaque soir si “les méchants” vont revenir…» Pendant cette séquestration sans violence physique, Souleymane Diawara ne se trouve pas sur les lieux. Mais son frère l’appelle et le met sur haut-parleur pour qu’il trouve des solutions avec Adriano.B. L’équipe d’Adama repartira avec un peu d’argent liquide et une BMW série 7, «prêtée» par le garagiste, selon les dires des suspects.Une version contestée par l’intéressé. Diawara est interpellé le 8 avril au petit matin, à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes),par les gendarmes de la brigade de Digne-les-Bains. «A ce moment-là, on pense seulement à un litige commercial, explique Me Grégory Bensadoun, premier conseil de Diawara –avant l’entrée en scène des ténors Eric Dupont-Moretti et Christian Saint-Palais. Souleymane est même impatient de s’expliquer sur les escroqueries.Puis ce sera une série de douches froides,de la mise en examen au placement puis maintien en détention. On est abasourdis.» A l’OGC Nice, Julien Fournier, le directeur général, suit le cours de la garde à vue et «tombe des nues»: «Les gendarmes nous disent “il sort ce soir”, puis “ne vous inquiétez pas, demain”. J’ai l’impression qu’ils ont été les premiers surpris par la tournure des événements.» En avril, Fournier a demandé un parloir, en vain. «Je voulais soutenir un mec adorable et apprécié par tous au club,dit-il. A l’été 2014, ila vait signé pour un an,à un salaire dérisoire par rapport à celui gagné à l’OM. On l’avait voulu pour sa combativité et sa capacité à transmettre son expérience aux jeunes.On devait se revoir enfin de saison pour poursuivre ou non l’aventure.»

 

«ENTRE LA COLÈRE ET LA HONTE»

 

Le contrat azuréen de Diawara s’est achevé avec son incarcération.Qui dure,dure,dure, à la grande surprise de sa défense, et même de la partie civile. «Selon mon client, Souleymane Diawara est un homme bien, en rien un voyou, explique Me Hachouf. Si les faits commis par ses acolytes sont extrêmement graves, j’ai été très mesurée à son sujet dans mes plaidoiries devant le juge des libertés et de la détention et la cour d’appel.» Le joueur espère un dénouement rapide après la confrontation avec le garagiste,mardi, à la gendarmerie de Digne. Il sera accompagné d’Alexandra Fernandez, une jeune avocate parisienne qui fut sa petite amie. Chaque samedi, celle-ci se rend aux Baumettes pour lui apporter du linge et l’informer du suivi de son dossier. Il stagne au quartier VIP, isolé,même si un proche, qui purge une peine pour trafic de stupéfiants, veille au grain et le fait cantiner.Deux de ses frères, Abdul et Ibrahima, ont eu aussi le droit de le voir. «Les parents voulaient rentrer de Dakar après avoir appris la nouvelle, mais je leur ai dit que ça ne changerait rien, confie l’aîné de la fratrie, Salif. Souley est partagé entre la colère de s’être fait entuber et la honte de s’être mis dans cette situation. Son orgueil est touché, c’est quelqu’un d’honnête.» Salif Diawara a entraîné Souleymane à la dure au Sporting Club de Frileuse, au Havre, jusqu’à ce qu’il signe pro. Il a vu un autre de ses frères, Djibril (champion de France avec Monaco en1997),noyer sa carrière dans les tentations de la French Riviera, les boîtes, les filles, les bagarres à la sortie des premières à cause des secondes. Il soupire: «Il faut toujours se méfier dans ce milieu. Souley, il donne sa confiance trop vite.»