Le capitaine et gardien des Bleus, exceptionnel depuis le début de la Coupe du monde, se révèle une personnalité bien moins lisse qu’il ne le laisse paraître. Portrait d’un homme de caractère.
C’est l’image pour la postérité. Le cliché censé nourrir le récit d’un deuxième sacre mondial. Il est 19 heures ou un peu plus ce dimanche 15 juillet et, vingt ans après Didier Deschamps, Hugo Lloris soulève le trophée de la Coupe du monde. Le Niçois laisse éclater sa joie, traversé par des passions insensées, bien loin de la représentation du joueur lisse et austère qu’il renvoie. S’il en prend le temps et si le destin lui sourit, il inspectera peut-être le chemin parcouru depuis Knysna, en Afrique du Sud voilà huit ans quand, dans le bus de la honte et du haut de ses 23 ans, il voyait partir en fumée ses rêves de gloire et de soirées incandescentes. « Je pense que si la France est championne du monde, Hugo entamera lundi une deuxième carrière, anticipe son ami Cédric Messina. Pour l’instant il n’a gagné aucun titre majeur à part une Coupe de France (NDLR : avec Lyon), ce qui peut parfois le ronger. Mais s’il atteint son objectif suprême, alors vous verrez un Hugo différent, plus épanoui comme on ne l’a jamais vu en public. »
Un malentendu l’escorte depuis sa nomination comme capitaine après Knysna
C’est le malentendu qui escorte Hugo Lloris depuis sa nomination comme capitaine des Bleus après le fiasco de la Coupe du monde 2010 et la grève du bus. Sélectionneurs et entraîneurs ont beau le confirmer dans cette fonction, le gardien aux 103 sélections a dû, et doit encore, lutter contre les réserves que son caractère suscite. Pour certains observateurs, il est trop introverti, quand d’autres considèrent que ses conférences de presse d’avant-match sont de véritables pensums.
« On m’a souvent collé une image qui correspondait à ma personnalité quand j’avais 20 ans. Celle d’un garçon timide, effacé, mais ce n’est pas moi, confiait-il au Parisien - Aujourd’hui en France à la veille de l’Euro 2016. Qu’on ne soit pas d’accord avec moi, je l’entends, mais pas qu’on me fasse passer pour un gentil ou quelqu’un qui n’a pas de maîtrise de la fonction. Je ne l’accepte pas. On me reproche souvent mes conférences de presse d’avant-match, mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Mon intérêt à ce moment-là est d’apporter de la sérénité au collectif. Après le match, il y a une analyse à faire en fonction du résultat, je peux m’ouvrir mais, avant le match, on verse dans des banalités. De l’extérieur, cela peut s’interpréter comme de la faiblesse. En tout cas, ce n’est pas parce que je suis respectueux et compréhensif que ça fait de moi quelqu’un de gentil. »
Lors de cette Coupe du monde, le gardien des Bleus a sensiblement infléchi sa communication. Avant les rencontres, les suiveurs de l’équipe de France ont trouvé un Lloris moins contraint par l’exercice et plus libre dans ses propos. A-t-il été rassuré par ses performances majuscules tout au long de la compétition ? C’est possible car, loin de faire l’unanimité, il avait essuyé son lot de critiques avant le début de la Coupe du monde sur son niveau prétendument en baisse avec son club de Tottenham en Angleterre. Un procès en illégitimité qu’il a mal vécu même si, fidèle à sa ligne de conduite, il n’en a rien laissé paraître.
« Les journalistes et les commentateurs l’ont énervé. Et s’ils ont agacé Hugo, c’est parce qu’il a été touché, décrypte Thierry Malaspina, son formateur à l’OGC Nice. On a pointé trois ou quatre erreurs réelles qu’il a commises durant la saison mais, à côté, on n’a pas relevé tout ce qu’il a fait de bien. C’est comme prétendre qu’il serait incolore, inodore et sans saveur. Hugo, c’est tout le contraire. Il sait se faire entendre, il est capable de vous dire vos quatre vérités, mais il sait quand il doit le faire. »
Doué mais trop poli, Hugo Lloris serait victime de sa bonne éducation dans un milieu qui vénère le bling-bling.
Longtemps rétif aux réseaux sociaux — il ne possède aucun compte Twitter et vient de se laisser persuader d’en ouvrir un sur Instagram — le gardien de 31 ans paie sûrement aussi son hostilité farouche à toute forme de marketing de son image. « On a souvent des échanges là-dessus, raconte Cédric Messina. Il objecte que ce n’est pas son caractère. En réalité, Hugo prend son métier par la base, c’est-à-dire qu’il revient sans cesse à la performance, et il ne souhaite pas l’habiller en dehors du terrain. Il ne triche pas. Je lui dis parfois qu’il devrait faire ci ou ça en termes de communication, mais il ne veut pas forcer sa nature. Quitte à parfois passer pour quelqu’un de lisse. Pourtant ce n’est pas sa vraie nature. Il est capable d’aller faire la fête avec les plus jeunes du groupe et de rentrer à 7 heures du matin. Après la qualification pour le Mondial, nous étions parmi les derniers à quitter la soirée avec certains de ses coéquipiers. »
Longtemps, il a hésité entre foot et tennis
Pour mieux cerner le personnage Lloris, il faut convoquer le jeune Hugo. Niçois pur sucre, originaire d’un quartier aisé, il partage ses jeunes années entre les études, le football et le tennis qu’il pratique avec talent au tennis club des Combes. Mais le ballon rond l’emporte pour son caractère plus collectif et chahuteur. Dominique Baratelli, ancien portier des Bleus dans les années 1970-1980, le repère dans son club amateur du Cedac-Cimiez et dit de lui : « Il fait tout plus vite que les autres. » Hugo va vite, mais ses parents ne veulent pas que leur fils brûle les étapes... et ses ailes. Son père Luc est banquier, spécialisé dans la gestion de patrimoine. Sa mère Christine, aujourd’hui décédée, est avocate-conseil dans un cabinet anglo-saxon installé à Monaco. Pour eux, il est hors de question que leur fils délaisse ses études. L’équilibre familial — Hugo Lloris a une sœur, Sabrina, 33 ans, et un jeune frère, Gautier, 22 ans, footballeur professionnel à Nice — en dépend. Au lieu de devenir pensionnaire du centre de formation de l’OGC Nice qui n’a pas de filière scientifique, l’adolescent est scolarisé jusqu’au bac S au lycée Thierry-Maulnier et file aux entraînements les soirs après l’école. Une discipline de fer qui lui vaut de suivre des cours privés le week-end.
Trois jours après le décès de sa mère, il joue contre Lille
Quelques semaines avant d’obtenir son bac, Lloris est champion d’Europe avec l’équipe de France des moins de 19 ans. Pour la première fois, le football est passé avant les études. « Prétendre qu’on a formé Hugo c’est faux, on l’a simplement accompagné. Le talent, il l’avait. Ensuite, Hugo savait ce qu’il voulait et il a tout mis en œuvre pour y parvenir. C’est un de ses traits de caractère », raconte Thierry Malaspina.
Par son exigence et sa dureté à la tâche, le gardien des Bleus ressemble beaucoup à sa mère, avocate déterminée à s’imposer dans un milieu patriarcal. Christine Lloris était capable de travailler ses dossiers à la veille de ses accouchements, et se montrait encore active à l’hôpital quelques jours avant son décès, à l’aube de la cinquantaine, alors qu’elle souffrait d’un cancer du sein. A l’époque, Hugo a 21 ans. Il en gardera une blessure intime sur laquelle il jette un voile pudique, admettant simplement qu’il a surmonté cette terrible épreuve grâce au football. Trois jours après la mort de sa mère, il décide de jouer un match de championnat avec Nice contre Lille au stade du Ray. La minute d’applaudissements secoue les âmes et les fondations du vieux stade. Lloris est un enfant du pays et le peuple niçois sait entourer les siens dans les moments de douleur.
L’international tricolore viendra à son tour rendre hommage aux victimes de la promenade des Anglais quatre jours après l’attentat du 14 juillet 2016. A ses côtés, sa femme Marine, qu’il a rencontrée au lycée Maulnier — ils ont eu deux filles —, et Christian Estrosi, maire de la ville, qui a tenu à célébrer leur mariage en 2012. « Hugo était présent non par obligation, mais parce qu’il en a ressenti le besoin profond. Il a été meurtri comme nous tous par ce qu’il s’est passé ce soir-là », raconte Thierry Malaspina.
Il reviendra vivre à Nice, qui n’a jamais cessé de l’habiter
Nice, Nissa la Bella continue de l’habiter. Il y possède une maison, et revient passer quelques jours en famille du côté de Saint-Paul-de-Vence dès que son emploi du temps londonien le lui permet. C’est aussi là que vivent ses amis d’enfance, « sa garde rapprochée » qui lui permettent de garder un pied dans la vraie vie. C’est encore à Nice que Lloris donnera peut-être un autre tour à sa vie après le football. Il a déjà posé des jalons en devenant, il y a quelques années, actionnaire historique de la start-up Mycoach, application dédiée aux entraîneurs de football. Et il porte un regard attentif sur l’évolution de la société. « Il a la fibre entrepreunariale, il échange sur les business plans, raconte Cédric Messina, fondateur de la société. Un jour à Londres, lors d’une réunion avec les ingénieurs, il demandait des conseils sur les techniques employées, il s’intéressait aux différentes problématiques. On n’avait pas l’impression d’avoir avec nous le capitaine de l’équipe de France. » « Mais je suis certain qu’il aura besoin d’embrasser une activité qui le fait vibrer », ajoute Malsapina. Après avoir fait vibrer la France ?