Julien Fournier : « On a fait un drôle de chemin »

Directeur général de l’OGC Nice depuis 2011, il est celui qui a développé le projet sportif. Il raconte les réussites des dernières saisons et évoque la façon dont le club peut encore grandir.

 

« J’ai cette image de mon premier match au stade du Ray à l’été 2011. Tout le monde entrait dans le vestiaire, la sécurité, les pompiers, la com... Dans le couloir menant à la pelouse, Ospina s’échauffait et s’arrêtait régulièrement pour serrer la main des VIP de passage. Au centre de formation, il n’y avait pas de docteur à temps plein, pas de kiné. Le recrutement, c’était un agent de joueurs qui s’en occupait. Voilà l’OGC Nice quand je suis arrivé.»


La règle des trois huit


« Notre postulat, c’est la règle des trois huit : un effectif de vingt-quatre joueurs avec un tiers de jeunes, un tiers de joueurs d’actif et un tiers de joueurs de club. La logique veut que les huit jeunes soient sur le banc et normalement à 100 % issus du centre de formation. Les joueurs d’actif sont des joueurs valant au minimum 15 M€, dont on souhaite qu’à terme ils soient issus à 50 % du centre. Et les joueurs de club – ce n’est pas péjoratif – ce sont des joueurs comme Dante, Jallet, Baysse, Civelli, Digard..., des joueurs fiables qui pour diverses raisons n’ont plus ou peu de valeur marchande. Les joueurs d’actif, on ne peut pas les acheter, donc on doit les créer en les formant ou en les détectant tôt. Il fallait structurer le scouting, la cellule de recrutement et être performant le temps que la formation porte ses fruits. À mon arrivée, il y avait trois scouts, dont un recrutait avec Football Manager. J’ai visité des clubs, le Séville de Monchi, le Real, Porto, l’idée était de piocher des idées. On a créé notre organisation, notre outil informatique pour consigner les infos et établir notre base de données. Chaque scout a pour mission de révéler des talents : moins de vingt-trois ans, technique et intelligence de jeu sont les critères. Pour recruter Dante, Jallet ou Balotelli, on n’a pas besoin de cellule de recrutement. Chaque recruteur gère deux pays et chapeaute des scouts juniors qui couvrent chacun un pays non suivi par les recruteurs, la Corée du Sud ou la Croatie, par exemple. On lui demande de tout savoir sur ce pays, sur les joueurs entre seize et vingt-trois ans et chaque mois il fait remonter, via notre logiciel, une équipe type à partir des critères qu’on lui donne. Une cohérence finit toujours par se dessiner et l’info remonte beaucoup plus vite jusqu’à nous car si on n’est pas sur les dossiers avant les autres, on est cuits. Notre petit succès, on l’a bâti ici, en trouvant Nampalys Mendy, libre à Monaco, Seri, Plea, Dalbert, Cyprien, tous pour très peu d’argent. Parallèlement, on ne s’est pas trop trompé sur les joueurs de club.»



Puel, Favre, Vieira, tiercé dans l'ordre


« L’autre clé, c’est de ne pas nous être trompés sur les entraîneurs. On a eu la chance d’avoir Claude Puel au départ du projet. Claude m’a dit à juste titre que si on continuait avec le profil de joueurs utilisés jusqu’alors, des guerriers, des trentenaires souvent, on n’y arriverait pas. Il a posé comme critère, pour la formation et la détection, l’intelligence de jeu et une vraie dimension technique. On s’est parfois trompés mais il y a eu cette constance depuis 2011. Je n’ai pas de mots pour dire à quel point Claude a compté pour le club. Aujourd’hui, on vit encore sur les murs porteurs qu’il a érigés. Arrêter avec Claude était un risque mais je pense que c’était la bonne décision. C’était le moment pour un entraîneur qui apporte autre chose. Si Lucien Favre avait été là au départ, on était sans doute dans le mur six mois plus tard. On ne s’est pas trompés sur quel entraîneur à quel moment. Et j’ai la conviction profonde que Patrick Vieira est le bon choix. On a pensé à lui il y a un an quand Dortmund a sollicité Lucien. On essaie toujours d’anticiper pour ne pas subir. On a commencé à chercher et Lucien le savait, comme Claude le savait. Avec Lucien on avait une équipe jouant très bien au ballon, dans la continuité de ce qu’a fait Claude. Mais ce club souffre encore de son passé où il manquait d’ambition. Dès qu’on a un peu de résultats, on se laisse vivre. Je l’ai ressenti il y a un an : on avait terminé troisièmes, on jouait bien, on avait le meilleur entraîneur du monde, les meilleurs joueurs du monde, un centre d’entraînement tout neuf et je me revois à l’inauguration où le sentiment qui transpirait était : “Ça y est, on est un grand club !” Mais on n’est rien ! Ce club n’a pas la culture du haut niveau et l’exigence au quotidien pour y accéder. Inconsciemment, tout le monde a oublié l’humilité et le travail pour finir troisièmes. Il n’y a pas cette maturité dans ce club. Il fallait donc garder cette ambition de jeu, continuer à révéler des talents mais avoir un entraîneur qui ait cette envie, qui porte en lui ce refus de la défaite, ce que Patrick incarnait sur le terrain.»

 


La rançon de la gloire

 

« C’est beaucoup plus difficile pour nous aujourd’hui, à cause de notre nouvelle notoriété. Quand je disais au club portugais de Paços de Ferreira, au moment de recruter Jean Michaël Seri, qu’on n’avait pas d’argent, ils savaient que c’était vrai. Aujourd’hui, les gens pensent que le club est riche mais l’argent est réinvesti dans la machine. Donc, le risque augmente car on achète des joueurs plus chers. Youssef Atal (NDLR : défenseur algérien en provenance de Courtrai, en Belgique), il y a cinq ans, on l’aurait eu au tarif de Seri, là c’est beaucoup plus cher. L’autre effet pervers, c’est le scepticisme et la frustration qui reviennent chaque été car des joueurs partent et on recrute des jeunes joueurs “anonymes” entre guillemets. Un nom connu, ça rassure tout le monde, les supporters, les médias, l’environnement économique. Mais je demande tout le contraire à mes scouts. Aujourd’hui, il y a une mode médiatique du Championnat du mercato. Le 31 août, les médias décernent quasiment le classement de fin de saison en fonction du mercato et distribuent les bons points. Avec Belhanda et Balotelli, on a parlé de super-mercato. Bien sûr, on ne s’est pas trompés, mais on ne s’était pas trompés sur Dalbert, sur Ricardo Pereira, ces joueurs “anonymes”. Tous les étés, l’environnement doute de ce qu’on fait, et c’est humain. Ça grogne quand on laisse partir Souquet mais quand il est arrivé de Dijon, personne ne disait : “Génial !” Ça grogne, et ça rejaillit sur nos joueurs. On donne l’impression aux gens de faire un pas en arrière, mais c’est pour en faire deux en avant. C’est inhérent à nos moyens.»

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Les bons coups et les rateaux

 

« Quoi qu’on dise, Ben Arfa, c’était un risque. Pas sur le plan financier, car on ne prend pas ces risques-là. Mais Claude pouvait avoir des réticences. Je connais bien Hatem, je n’étais pas inquiet, j’ai donné quelques clés à Claude et leur relation a été fusionnelle. Même chose avec Balotelli. Que Mario reste, c’est exceptionnel ! Et c’est un choix assumé même si c’est aussi parce qu’il n’a pas eu les offres qu’il attendait. En fin de saison, il m’avait dit que si Nice avait été européen, il ne se serait pas posé la question d’aller voir ailleurs. Le dossier Balotelli, je l’ai dit, redit et je persiste, était un dossier simple. On avait dit à Mario : “Choisis le club où tu veux aller.” Il connaissait les chiffres, il savait que c’était cadeau, il nous l’a dit et je ne vais pas reparler de l’OM sinon on va encore dire que je règle des comptes. J’ai grandi au Vélodrome, l’OM est à part pour moi, mais je distingue le club de ceux qui y travaillent. Et je suis bien placé pour savoir que l’OM peut rendre fou. Peut-être que l’OM s’agace de voir que Nice arrive à le concurrencer dans certains secteurs, voire à le devancer dans le pouvoir d’attraction du centre de formation. Mais nous ne sommes pas sur la même planète, même si on a réussi quelques coups. On en a aussi manqué d’autres. Sanson a failli venir chez nous, j’avais rencontré sa famille, il était partant pour l’été suivant mais entre-temps, l’OM s’est manifesté et c’était fini pour nous, ce que je comprends tout à fait. Même chose pour Depay à Manchester. C’était O.K., puis Lyon est entré dans la danse et c’était fini. Là encore, je n’en veux pas à Memphis. »

 

 


Le besoin de nouveaux investisseurs


« Aujourd’hui, le club est très bien organisé sur le plan du recrutement, ce qui n’empêche pas les erreurs. On s’est ouverts au Brésil avec Dalbert, à l’Afrique cette année. On cherche toujours à améliorer le système et si on ne s’endort pas sur nos lauriers on va continuer à être bons. Mais là où il faut qu’on devienne très bons, c’est sur la production de joueurs. On forme de bons joueurs de L1 et on en est fiers, mais il faut former des joueurs de très haut niveau, des joueurs de l’équipe de France, ce que Lyon réussit avec un exceptionnel savoir-faire. Dans les actifs, aujourd’hui, il y en a un qui vient du centre et peut-être deux en jeunes qui peuvent le devenir. Ce n’est pas assez. Maolida, Saint-Maximin sont des actifs qu’on a achetés, pas formés. On n’a pas d’actionnaires qui nous offrent une petite rallonge, notre salut est de créer de la valeur en permanence. Et peut-être un jour de devenir un révélateur de talents capable de les garder. Ce sera notre enjeu sur les trois ou quatre prochaines saisons. Aujourd’hui, on est à un virage : si on n’est pas meilleurs dans la production des joueurs, on n’y arrivera pas. On a tiré la quintessence de ce qu’on pouvait faire, on a les moyens de maintenir le club à ce niveau, mais s’il doit basculer dans une autre dimension, il faudra sans doute d’autres investisseurs. On sait aussi que le club est attractif, pour lui-même et pour son environnement. On est en alerte mais sans pression. Un investisseur, c’est comme un joueur : il faut le bon, pour le bon projet et au bon moment.»

 

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Le jour où il partira


« Avec le président Rivère, on a failli partir cet été. On l’a acté trop tard dans nos têtes et ç’aurait été dangereux pour le club, mais on a failli pour des raisons qui nous incombent. Je le dis souvent à mes collaborateurs et ça leur fait parfois peur, mais je travaille pour préparer mon départ. J’essaye de m’entourer de gens meilleurs que moi dans leur domaine. Je ne ferai pas dix ans ici. Mais ce n’est pas la politique de la terre brûlée. Au contraire, je voudrais trouver mon successeur, travailler six mois avec lui pour assurer la transition. Il apportera une nouvelle fraîcheur. Je suis arrivé en 2011 avec plein d’envie, avec mon plan de bataille qui a réveillé des gens. On peut me reprocher mon manque d’affect. Quand je dois prendre une décision, il faut qu’elle soit froide. J’ai dit non à des gars en or comme Civelli, Baysse, Digard... Je dois garder de la distance avec les joueurs, même s’il y a eu quelques rares exceptions comme Cana, Ben Arfa ou Dante. C’est encore plus dur avec les entraîneurs avec lesquels on a tissé des liens. Quand on a arrêté avec René (Marsiglia, en juin 2012), qui avait sauvé le club, c’était plus que limite humainement mais, sportivement, c’est ce qu’il fallait faire. Et il faudra un autre Fournier à un moment donné. Ce sont des métiers où il faut prendre les bonnes décisions aux bons moments et pour ça il faut être lucide. Les années passant, on perd un peu de lucidité si on perd de la fraîcheur. Patrick (Vieira) en a rapporté beaucoup au club sans s’en rendre compte. Il m’a redonné du gaz, je crois aussi qu’il en a redonné au président. Je regarde parfois derrière moi. Je vois le changement de stade, le centre d’entraînement, le centre de formation. Je vois qu’on est passés d’un club dont l’ambition était de se maintenir bon an mal an à un club réputé pour sortir des joueurs, faire la promotion de ses jeunes, bien jouer au ballon et qui, sur les dernières saisons, a réussi à être dans la compète avec les gros ! On a fait un drôle de chemin quand même.» .