Une-deux à 4

Une vie de vestiaire : les jeunes, les surdoués, les fragiles, ceux qui représentent une valeur considérable à la vente en cas de transfert et les bons joueurs à la bonne place, qui rendent service dans un contexte précis. A la veille de la dernière journée de championnat des matchs aller de la saison 2018-2019, on s’est posé dans le vestiaire niçois en rendant le football aux footballeurs : qu’est-ce qu’ils voient quand ils portent leur regard sur un coéquipier ? Quels sont les fils invisibles de l’extérieur qui attachent les joueurs entre eux ? On a choisi des profils disparates : un enfant du club (Sarr), un nouvel arrivant (Myziane), un champion d’Europe (Dante) et un phénomène en devenir (Saint-Maximin) en leur demandant de parler de leur voisin de vestiaire.

 

 

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Myziane (attaquant) par Sarr : «Il attend que mon rire parte pour rigoler à son tour»

«Je l’ai rencontré pour la première fois en équipe de France des moins de 17 ans et je l’ai trouvé... très timide. Puis, j’ai revu Myziane de loin en loin dans les différentes sélections [moins de 17 ans, de 19 ans, espoirs, ndlr] : c’est plus léger qu’en club, on a beaucoup de choses à se dire puisqu’on ne se côtoie pas au quotidien et je l’ai découvert, jusqu’à faire chambre commune lors des rassemblements. Il lui arrive parfois d’être fragilisé quand il manque une occasion [de but] ou deux. Il est vif, il est bon des deux pieds, il va vite : comme pour beaucoup de joueurs de son âge qui découvrent le monde professionnel, il doit progresser sur l’agressivité. Dans les catégories de jeunes, certains ont tellement de talent qu’ils survolent les matchs sans que l’on s’aperçoive que cette agressivité leur manque : aucune chance que ça continue une fois passé le cap professionnel, là on y voit comme en plein jour. Le coach [Patrick Vieira] travaille cet aspect-là avec lui. J’ai aussi affaire à lui, comme tous les joueurs. Je me rappelle une fois, trois jours après un match : «Passe me voir dans mon bureau.» Il voulait discuter de mon placement sur un centre adverse. Il n’a pas commencé par me corriger, il ne m’a pas non plus demandé d’entrée une explication, non : il avait travaillé en amont pour échafauder plusieurs hypothèses, «peut-être que tu pensais arriver avant le joueur [récipiendaire du centre]», «peut-être que tu ne l’as pas vu», etc. Bref, il avait essayé de se mettre à ma place, de raisonner en fonction des données dont je disposais quand l’action s’est déroulée. Entraîner, ce n’est pas secouer ses joueurs à tout bout de champ. C’est beaucoup, beaucoup plus complexe (sourire). Pour en revenir à Myziane, il m’a appelé avant de signer à Nice : il était dans une situation compliquée puisqu’il évoluait à Lyon [un club où la concurrence est exacerbée, ndlr] et je lui ai dit de foncer - à Nice, il jouerait. Notre moment ? Parfois, quand il fait des blagues, je fais exprès de ne pas le regarder mais il sait que j’écoute, il ne me lâche pas des yeux et il attend que mon rire parte pour rigoler à son tour. Il rit de sa propre blague, en fait.»

 

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Sarr (défenseur) par Saint-Maximin : «Il prend les avis mais on sent qu’il a son idée, son indépendance d’esprit»

 

«Vu son âge, ce que fait Malang est remarquable. Un jeune joueur est souvent dans un ascenseur émotionnel : un coup je joue, un coup je ne joue pas. La saison passée [où Sarr a joué un match sur deux, ndlr], il a fait preuve de caractère. Quand les choses se compliquent, il ne baisse pas les bras. Il cherche à savoir pourquoi : cette capacité à s’auto-analyser me frappe. Quand je suis arrivé en 2017, je savais ce que les gens disaient de moi : beaucoup de qualités mais... Malang m’a observé. Il voulait se faire sa propre idée. Comme quand on échange après les matchs : il prend les avis mais on sent qu’il a son idée, son indépendance d’esprit.

 

«Après un match, avec les nerfs à vif, il peut se passer beaucoup de choses quand tu perds un match. J’ai tout vu : ceux qui expriment les choses, ceux qui gardent tout pour eux et explosent d’un seul coup, ceux qui ne disent jamais rien, ceux qui l’ont en travers de la gorge... Malang vit tellement intensément le foot que, parfois, il a du mal à passer à autre chose. Je me rappelle Monaco, on fait 2-2 en concédant une égalisation évitable dans les arrêts de jeu : il bloquait là-dessus, sur le mode «quand on va retrouver les Monégasques, ça ne se passera pas comme ça», il aurait voulu les reprendre là, tout de suite - Monaco et personne d’autre. Quand je discute avec lui après les matchs, on n’est pas souvent d’accord. Mais on parle. Récemment, je lui ai demandé de me donner le ballon plus vite quand il l’avait pour pouvoir prendre mon défenseur avec de l’élan et il ne comprenait pas trop. La séance vidéo m’a donné raison : pas besoin d’en reparler, un regard, un sourire, on se comprend et la vie continue. Malang est très, très carré. Quand je cours moins à l’entraînement, il met les bouchées doubles pour me faire passer le message. Il s’est occupé de sa famille très jeune [Sarr a perdu l’un de ses parents à l’âge de 12 ans] et je crois qu’il y a un lien. S’il va au bout de son potentiel, il finira au Barca, mais ça... Il doit travailler, comme nous tous. Bon, si tu marques deux buts tous les week-ends, tu es arrivé. Mais ça, c’est Ronaldo et Messi.»

 

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Saint-Maximin (attaquant) par Dante : «Quand tu le vois, tu ne sais pas ce qui va se passer»

 

«Je ne connaissais pas Allan avant qu’il signe à l’OGC Nice [durant l’été 2017, ndlr]. Il avait peu joué à Hanovre [18 matchs quand même, dont beaucoup d’entrées en jeu] quand j’étais encore en Allemagne à Wolfsbourg mais à part ça... J’ai vu arriver un bon gars, plutôt timide. C’est clair que quand tu vois son style, sa manière d’être, tu ne sais pas ce qui va se passer [rires], il a l’air rigolo. De par sa vitesse et ses qualités de dribble, c’est un joueur différent. Et c’est une personnalité différente aussi. Mais dans un groupe, on a justement besoin de personnalités différentes.

 

«Depuis son arrivée, il s’est adapté à son environnement, il a mûri. Il a progressé dans tous les domaines : moins de retards, une meilleure attitude envers ses coéquipiers, une meilleure communication avec les autres... Par exemple, il est capable aujourd’hui de prendre la parole avant un match. Juste deux ou trois mots d’encouragement, jamais de longs discours mais dans le contexte, ces deux ou trois mots sont importants pour l’équipe. Avant, il ne le faisait pas. A son arrivée, il y avait de grosses attentes sur lui, de par le potentiel que tout le monde lui prête depuis des années et le prix du transfert [10 millions d’euros, une grosse somme pour Nice]. Les gros transferts en bloquent certains, ils en libèrent d’autres parce qu’on peut y puiser de la confiance : pour lui, c’était entre les deux. Ça dépendait des moments. Il écoutait beaucoup ce qui se disait sur lui à l’extérieur, les gens, les journalistes... Il fallait lui laver la tête. Allan n’est jamais méchant mais disons qu’il était parfois tranquille, sans trop se soucier du passé [de ses équipiers]. C’est une tendance générale : les jeunes sont prêts plus tôt, ils assument des responsabilités importantes plus tôt et, du coup, les équipes sont moins hiérarchisées que quand j’avais son âge. Moi, ça ne me pose aucun problème mais pour les jeunes, c’est dommage. Allan, lui, écoute ce qu’on lui dit.

 

«Sur le terrain, j’essaie de l’éveiller à la logique du match qu’il joue, c’est-à-dire à l’adversaire - au monde extérieur, en fait. A ce niveau, tu ne peux pas arriver et faire ton truc : l’équipe d’en face est là pour t’empêcher d’exprimer tes qualités, elle a des armes aussi, elle te connaît donc, il faut s’adapter. Aimer le foot, ce n’est pas jouer pour jouer. Il faut aller jusqu’à tes limites en y prenant du plaisir, souffrir en prenant du plaisir. Si j’avais une toute dernière chose à lui dire ? Mets le foot avant tout. Si tu nourris ta famille, c’est grâce au foot. Et si tu réussis dans la vie, c’est que tu auras réussi dans le foot.»

 

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Dante (défenseur) par Myziane : «On peut parler de tout avec lui : de l’immobilier jusqu’aux gilets jaunes»

 

«Je l’ai découvert à la télé, en regardant la Ligue des champions [que Dante a remportée en 2013 avec le Bayern Munich, ndlr]. On voit des choses différentes [que le commun des défenseurs ne fait pas] comme sortir le ballon proprement [sans que son équipe le perde] sous la pression de plusieurs adversaires ou encore une lecture du jeu supérieure.

 

«Mais il ajoute l’attitude : la façon de se tenir, le regard, les encouragements permanents. Je ne sais pas comment les gens voient les joueurs de foot de l’extérieur mais dans un vestiaire, c’est simple : la valeur d’un joueur est indexée sur son palmarès (les titres restent), les clubs où il a évolué [définissant ainsi une sorte de jauge de niveau] et le nombre de matchs qu’il y a disputé. Dante a une stature. Il est crédible. Par nature, un jeune joueur est centré sur lui-même : il ne connaît pas le monde extérieur et quand bien même, il ne saurait pas l’expliquer. Et comme il y a beaucoup de jeunes joueurs ici, Dante s’est mis dans la transmission. Il suffit de le regarder : il soigne ses exercices de prévention [de blessure] avant les entraînements, il file immédiatement aux soins juste après et il est toujours à fond pendant. Et il fait ce qu’il sait faire, rien d’autre : on ne le voit jamais tenter durant un entraînement quelque chose qu’il ne ferait pas en match - l’entraînement, c’est déjà le match pour lui. Il insiste sur le plaisir. Si je résume son message, c’est : toujours à fond, prends du plaisir et avec tes qualités, ça passe. Il parle aussi pendant les rencontres ; deux, trois mots pendant un arrêt de jeu parce que tu n’as pas le temps quand le jeu se déroule, «mets-toi entre les lignes», «fais face au jeu». On le sent protecteur. On peut parler de tout avec lui : de l’immobilier à Nice quand tu dois t’installer en ville à ton arrivée, des gilets jaunes, de son pays aussi - ça, il me l’a bien vendu, le Brésil [sourire]. En extrapolant, je ne sais pas si l’amitié est possible dans le foot. Je choisirais un autre mot : on peut s’apprécier, on voit aussi surtout ce que le joueur fait ou ne fait pas pour son coéquipier durant les matchs. Attention : on peut faire semblant de penser collectivement, il y a toujours un moyen et le terrain nous dit les choses [à nous, joueurs]. Entre [Malang] Sarr et moi par exemple, ça dépasse le foot. Je suis sûr qu’on gardera le contact quand l’un de nous aura quitté le club. Mais au fond, c’est le temps qui le dira.»