La saison n’a pas été de tout repos à l’OGC Nice, où l’emblématique duo Rivère-Fournier a claqué la porte, ulcéré par les divergences avec les actionnaires.
Le vendredi 11 janvier, quand l’info circule dans la matinée que rendez-vous est donné aux médias dans la salle de presse du centre d’entraînement de Nice, personne n’imagine que ce soit pour évoquer Bordeaux, l’adversaire du lendemain, ou faire un point sur le mercato. Alors quoi ? Jean-Pierre Rivère et Julien Fournier, côte à côte comme toujours, annoncent simplement leur départ, sans faux-fuyants : « On a des tensions avec nos actionnaires, commente Rivère. C’est un secret de Polichinelle. La fluidité n’est plus là. Ce n’était pas jouable de manager dans ces conditions. »
Après sept ans et demi passés à Nice, le duo quitte le club. L’annonce est brutale et inattendue en plein mercato hivernal, même si le divorce était acté depuis l’été, mais pour la fin de saison. On pourrait presque affirmer qu’il était inéluctable dès la publication des bans en juin 2016 lorsque le club avait changé de main, dorénavant détenu à 80 % par quatre actionnaires sino-américains (Chien Lee, Alex Zheng, Paul Conway et Elliot Hayes). Rivère conserve 20 % de ses parts (encore aujourd’hui) mais reste en poste avec Julien Fournier. Nice vient de terminer quatrième du Championnat, au terme d’une saison 2015-16 très encourageante. Six mois plus tard, à la trêve, il est même champion d’automne quand le premier coup de canif survient. Afin de se donner une chance supplémentaire d’être la grande surprise sur la ligne d’arrivée, Nice a la possibilité d’obtenir le prêt de Memphis Depay, au placard à MU. Mais les nouveaux propriétaires tergiversent. L’affaire ne se fait pas, Lyon saisit sa chance, Nice termine la saison sur la troisième marche, sans attaquant car Plea s’est blessé au moment du sprint...
La clause caduque de Vieira
D’entrée, des divergences de stratégies se révèlent. Et se répéteront lors de chaque mercato, instant de crispation systématique entre le duo exécutif et les actionnaires, entre la volonté de faire du Gym un club toujours plus compétitif et plus seulement une « anomalie sympathique », comme le répétait Fournier, et celle d’investisseurs soucieux du retour financier et qui voient d’autant moins l’utilité de prendre des risques que Nice gagne. Et tant que ça gagne… Jamais les rapports compliqués entre Rivère-Fournier et les actionnaires ne donneront lieu à une guerre larvée, mais ils vont sacrément compliquer le mode de fonctionnement mis en place depuis l’arrivée du duo. Entre les deux « historiques », il n’y a « pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette » a l’habitude de répéter Rivère. L’un coupe les oignons, l’autre pleure, pour le dire autrement. Ils fonctionnent comme une cellule, avec la certitude que réactivité et anticipation sont les meilleurs voire les seuls atouts pour un club comme Nice. Leur autonomie et l’absence physique des actionnaires, désormais décisionnaires, perturbent la fluidité. Plusieurs fois, la rumeur les a annoncés partants, chaque fois ils ont démenti. En fin de saison dernière, ils ont pourtant bien failli le faire. Mais Lucien Favre quittait le club, le contact était noué avec Patrick Vieira, et un départ à cet instant aurait été préjudiciable. Ils ne cachent rien de ces difficultés au champion du monde 98, au point que Vieira demandera qu’une clause soit ajoutée à son contrat lui permettant de le rompre si Rivère et Fournier quittent le club. Une clause aujourd’hui caduque car Vieira ne l’a pas activée dans les deux semaines qui ont suivi le départ du duo qu’il n’imaginait pas en plein mois de janvier, un timing qu’il a modérément apprécié, même s’il n’en a rien dit.
Viva la data !
Les périodes de mercato deviennent des moments de crispation systématique.
À défaut d’un départ l’été dernier, Rivère et Fournier le programment donc avec les actionnaires pour le suivant. Les anciens dirigeants auraient même proposé de travailler avec leur successeur afin d’assurer la transition, sans que cela n’aboutisse. Et une fois encore, ça coince durant le mercato estival. D’abord, la prolongation du contrat de Dante est remise en cause. Rivère et Fournier, qui se sont engagés auprès du Brésilien, iront jusqu’à mettre leur démission dans la balance. Hatem Ben Arfa ne reviendra pas, Ryad Boudebouz est OK mais ça ne se finalise pas. Pour Youcef Atal également, ça traîne. Pourquoi recruter un latéral droit alors qu’il y en a déjà deux dans l’effectif ? Il faut du temps, de la patience pour expliquer qu’il vaut mieux acheter vite un bon joueur et dégraisser ensuite afin de maîtriser les prix. L’opération se fera mais elle met en relief la différence de méthode, notamment sur l’utilisation de la data dans le recrutement (Atal a évolué en D2 algérienne et n’a joué qu’une dizaine de matches à Courtrai avant de rejoindre Nice, les données sur lui sont donc rares). ogcnice.infoOr, Chien Lee est un adepte convaincu de la data depuis qu’il est devenu actionnaire de Barnsley au côté de Billy Beane, dirigeant des Athletics d’Oakland (baseball) – personnifié par Brad Pitt dans le film Le stratège –, promoteur d’une méthode de gestion et de recrutement basée sur les stats. Depuis la prise de majorité des actionnaires, les rapports de force au sein du conseil de surveillance ont évolué. Si Alex Zheng a joué un rôle moteur les premiers temps, il s’est peu à peu effacé derrière Chien Lee, qui tient la barre aujourd’hui. Entre Rivère et Chien Lee, qu’il voit davantage comme un « faiseur d’affaires », ça n’a jamais été le grand amour. Ça l’est encore moins avec Paul Conway, actionnaire ultra-minoritaire, qui se targue d’être un spécialiste de football et murmure à l’oreille de Chien Lee, à Miami, où il réside et partout ailleurs où ils sont en affaire.
Le mercato hivernal confirme que toute collaboration est impossible. Les noms de Ryad Boudebouz, le milieu de terrain offensif, et de l’attaquant argentin Facundo Ferreyra, que le club suit depuis plusieurs années, sont retoqués. « Trop vieux », répondent les décideurs. Trop chers, aussi, même s’il ne s’agit que de prêts et que le départ de Mario Balotelli va alléger la masse salariale. Surtout, à vingt-neuf et vingt-huit ans, ils n’ont pas le profil souhaité par les nouveaux boss, attirés par de jeunes joueurs offrant une possible forte plus-value à la revente, base du projet. Cette fois, c’en est trop pour Rivère et Fournier, qui ne voient plus l’utilité de rester. Le 1er février, Gauthier Ganaye débarque de Barnsley et devient président de l’OGC Nice. À lui désormais de mettre en place le fameux projet désiré par Chien Lee. Première priorité : rassurer l’entraîneur Patrick Vieira afin qu’il reste. Le nom de Gilles Grimandi, proche de Vieira depuis l’époque Arsenal, que Fournier et Rivère avaient approché pour qu’il prenne en charge le recrutement, ressort opportunément du chapeau. L’arrivée annoncée de Mathieu Louis-Jean, scout pour Manchester United, la bonne relation de travail avec Gauthier Ganaye et l’assurance, selon Chien Lee, que Nice sera actif sur le marché des transferts cet été semblent avoir convaincu le coach de rester dans un club où il occupe aujourd’hui une place de choix.
Ratcliffe peut changer la donne
Des mails prouveraient que Nice a bel et bien recherché un nouvel investisseur.
Tout aurait pu se terminer ainsi, chacun vivant sa vie dans son coin. Mais début avril, le milliardaire britannique Jim Ratcliffe, récent acquéreur de l’équipe cycliste Sky et qui, selon la presse anglaise, pèse 24 milliards d’euros, manifeste publiquement son souhait de racheter le club. Radcliffe a été démarché par Rivère et Fournier qui s’étaient engagés, en accord avec les actionnaires affirment-ils, à trouver un nouvel investisseur. Ils en ont pour preuve des échanges de mails et la signature de documents par Chien Lee permettant au potentiel acheteur, qui a même visité les installations, d’avoir accès aux comptes avant l’ouverture des négociations. Mais Chien Lee a stoppé le processus du jour au lendemain et affirme aujourd’hui n’avoir jamais voulu céder le club. Depuis, dans l’entourage de l’OGCN, on entend tout et son contraire. D’un côté, ceux qui ne cessent de répéter que les actionnaires actuels sont là pour longtemps – ou que, s’ils ont changé d’avis, c’est peut-être parce qu’ils se sont pris au jeu, encouragés par la saison très correcte que réussit malgré tout le Gym –, la meilleure preuve étant la réorganisation entamée depuis quelques semaines. Les mêmes prétendent que si Rivère est à ce point intéressé par la vente, c’est pour toucher le solde des 20 % d’actions qu’il détient encore, voire pour revenir aux affaires. De l’autre, il y a ceux qui dénoncent les effets d’annonce et la com d’actionnaires qui entendent surtout s’enrichir davantage en conservant le club plutôt qu’en le vendant. Et puis il y a ceux qui se disent que le club peut tirer profit de tout cela car, quelles qu’étaient les intentions initiales des actionnaires actuels, ces derniers ont désormais la pression de l’environnement niçois, qui sait que le club suscite un grand intérêt. Le mercato d’été devrait jouer le rôle de juge de paix.