De l'arrivée de Christophe Galtier au recrutement d'Andy Delort en passant par les graves incidents du match contre l'OM, l'OGC Nice a vécu l'un des étés les plus mouvementés de son histoire. Julien Fournier, son directeur du football, a accepté d'en dévoiler les coulisses.

 

23 juin. Ça chauffe avec Lille

 

« Quand les ego se mêlent aux négos, ça devient compliqué. Après le titre, lorsque Christophe (Galtier) a annoncé qu'il quittait le LOSC, il imaginait une sortie plus aisée, vu ce qu'il avait apporté au club. Il souhaitait s'en occuper seul avec son président, mais a reçu une fin de non-recevoir et la situation s'est tendue. C'est à ce moment-là que nous avons pris contact avec le LOSC. On n'avait aucun doute sur l'issue de la négociation, mais il a fallu tenir la barre sans répondre aux provocations, sans alimenter le débat dans les médias. On nous accuse d'avoir travaillé dans le dos du LOSC, c'est faux ! Mais je comprends la posture de celui qui n'est président (Oliver Létang) que depuis quelques mois et voit son entraîneur partir, je comprends qu'il fasse du bruit. Il en faisait moins quand, à peine arrivé au LOSC, il essayait de débaucher notre entraîneur des gardiens (Nicolas Dehon), ou lorsqu'il était à Rennes et qu'il a tenté durant un an et demi d'en faire de même avec un de nos cadres important du recrutement. Je ne lui en veux pas, je sais que le foot est un milieu ultra-concurrentiel. »

 

28 juin. Rendez-vous face à la mer

 

« Je fonctionne un peu à l'ancienne, je suis complètement fermé sur certains sujets et je n'ai jamais parlé de Christophe à qui que ce soit en interne. Les joueurs ne m'ont pas posé de question à la fin de la saison et j'ai la prétention de penser qu'ils nous faisaient confiance. Tant qu'il était à Lille, j'ai été d'une loyauté totale, contrairement à ce qu'affirment certains. La prise de contact s'est faite en début d'année. On venait de se séparer de Patrick (Vieira) et on a opté pour un intérim d'Adrian (Ursea) jusqu'à la fin de la saison. Ça nous a permis de travailler sereinement, d'avoir le temps... Un vrai luxe dans le football. On a gagné six mois, même si, sur le moment, beaucoup pensaient qu'on perdait du temps. Nous avions trois noms d'entraîneurs de très haut niveau : Christophe et deux techniciens étrangers dont je tairai les noms. Les premiers messages avec Christophe, c'était juste pour savoir s'il était intéressé, s'il avait envie qu'on travaille ensemble. Ça faisait un moment qu'on se tournait autour. On se connaît depuis Marseille, quand il a débuté sur le banc avec la réserve. Sans être proches, on a toujours gardé le contact. On appréciait de se croiser, on a des amis communs, on n'habite pas loin l'un de l'autre. J'avais juste besoin de savoir, mais il n'était pas question de le perturber ou de perturber le LOSC. On a été d'une discrétion totale. On s'est vus à deux reprises durant la trêve internationale, fin mars. Une soirée chez lui, une chez moi, de longues heures à entrer dans le détail du club après qu'il m'avait confirmé son intention de nous rejoindre. Là, ce n'était plus Christophe et Julien, une discussion entre deux amis, mais Galtier et l'OGC Nice. On a tout décortiqué. Il a eu accès à des infos confidentielles sur l'effectif, sur le club, et, s'il avait choisi de ne pas venir, peut-être aurait-on pensé que c'était risqué. Mais entre nous, la confiance était totale. Ensuite, je lui ai dit qu'il fallait couper la ligne, qu'il devait se consacrer à la fin de saison de son club, et nous ne nous sommes plus appelés pour évoquer Nice. Nous n'avons pas douté quand il a répondu ensuite à l'invitation de Jean-Michel Aulas ou de Naples. C'était normal, respectueux aussi envers ces clubs et, n'ayant rien signé, il avait de toute façon toute liberté. »

 

galitier fournier

 

29 juin. Où il est question de la taille du bureau

 

« C'est fait ! Il n'y a pas spécialement de soulagement car on connaissait l'issue, mais de l'excitation au club et chez les supporters. J'ai la conviction que c'est le bon moment pour lui de nous rejoindre. Il a sa méthode, on a la nôtre. Il a analysé notre dernière saison, on l'a fait aussi, et, sur bien des points, on se rejoint. Par rapport à Lille, il est surpris de voir qu'il y a beaucoup moins de monde autour de l'équipe. Surpris aussi de la taille de son bureau, bien plus petit qu'à Luchin... C'est une phase de découverte. »

 

15 juillet. Un paperboard dans la tête

 

« Début du stage à Divonne (dans l'Ain). Je sais l'impatience de Christophe d'avoir au plus vite son groupe. Très rapidement, on a ciblé nos manques. La priorité, ce sont des joueurs de côté pour aboutir au 4-4-2 qu'il veut installer. S'il y a un effort financier à faire, ce sera pour ce secteur. Gouiri a dépanné, mais c'est un joueur d'axe. Le mercato a son rythme, qui s'impose aux entraîneurs. Je suis le boulet de Christophe, celui qui freine l'enthousiasme. Dans mon bureau, l'équipe figure sur un paperboard, avec les trous à combler. J'ai le même chez moi. Où que je sois, je l'ai en tête. Chaque été, c'est la même chose, je suis complètement focus sur ce mercato dont on dit qu'il rend fou. Mon cerveau ne débranche pas, j'ai beaucoup de mal à faire autre chose. Tous ceux qui travaillent avec moi le savent et, sauf s'il faut trancher quelque chose d'urgent et d'essentiel, ils savent que tout ce qui n'est pas lié au mercato est entre parenthèses. Mais on a un fonctionnement assez horizontal et pas trop de problèmes d'ego dans ce club. C'est prenant, épuisant, ça demande d'avoir les cannes et c'est comme ça chaque année, deux mois intenses. Mais je ne me plains pas, surtout quand je pense aux entraîneurs qui vivent avec cette pression, cette intensité, onze mois par an ! »


21 juillet. Les yeux dans les yeux

 

« Je suis à Divonne, mais, demain matin, direction Eindhoven. Le PSV a assuré face à Galatasaray (2e tour de qualification de la Ligue des champions, 5-1) et ouvre la porte à un transfert de Rosario, c'était le deal entre le joueur et le club. J'ai besoin de rencontrer le joueur physiquement, de discuter avec lui. Et je crois que le joueur a aussi le besoin de se sentir désiré. Melvin Bard, lui, je l'avais vu avec son père avant son départ aux JO. Les mails, les visios, ce n'est pas ma façon de fonctionner. Tant pis si c'est plus compliqué depuis le début de la pandémie parce qu'il y a moins d'avions, mais on se débrouille. Le PSV, comme l'Olympique Lyonnais avec Melvin, a été d'une élégance rare. Ce n'est pas toujours le cas. Il y a constamment une part de bluff dans les transactions, mais la situation n'est pas la même qu'il y a deux ans et le poker menteur a ses limites. Il faut être patient, faire tomber le rideau avec certains clubs et agents, ce n'est pas toujours simple. »

 

24 juillet. Dante, le retour du patron

 

« Heureusement qu'on n'analyse pas les matches de préparation uniquement en fonction du résultat... (Défaite 0-2 contre l'Union Berlin.) Dante est de retour. Avec lui, le discours est clair : tu es le patron, à toi de le rester, et, vu l'animal de compétition qu'il est, nous n'éprouvions aucune crainte à son sujet. Et puis, je lui dois le respect puisqu'il est beaucoup plus vieux que moi... Je lui ai dit : "Tu vas retrouver Justin (Kluivert), qui t'avait fait un beau petit pont quand on avait rencontré l'Ajax Amsterdam." (En 2017, qualifications pour la Ligue des champions.) Juste pour chambrer. "Non, il avait voulu, mais avait pris un tampon", m'a-t-il répondu. Mais il faut croire que ça l'a travaillé, je me demande même s'il n'a pas revisionné le match pour vérifier. »


25 juillet. Sur la route

 

« Première journée off de l'été, en famille. Sinon, c'est chaque matin réveil à 5 h 45, puis une heure trente à deux heures de route pour rallier Nice, moment privilégié où je peux réfléchir, discuter avec Jean-Pierre (Rivère, le président). Arrivé au bureau, on échange avec le staff et la cellule de recrutement pour faire le point, parfois avec un joueur autour d'un café à la cantine le midi. Et téléphone, téléphone, beaucoup, visios, rendez-vous avec un agent à Monaco ou ailleurs. Il m'arrive souvent de prendre les rendez-vous à Marseille plutôt qu'à Nice, c'est plus discret. Quand j'étais à l'OM, je faisais l'inverse. Et le soir, retour à la maison vers 21-22 heures... pour poursuivre parfois les discussions au téléphone. »

 

27 juillet. Mino et les Hollandais

 

« Quatre joueurs en même temps ! Ceux qui s'impatientaient peuvent souffler. J'avais eu un premier rendez-vous avec Stengs il y a deux étés, mais cela n'avait pas pu se faire. Même chose pour Lemina, à deux reprises, cela avait failli se réaliser, mais, sur un plan économique, ce n'était pas le bon moment. On a toujours gardé ces dossiers sous le coude. Quant à Justin, il était venu la saison dernière visiter les installations à une heure où jouait le Gym, ce qui permettait de rester discret. Il était tenté, mais le travail de séduction est essentiel, car, quand on a joué à l'Ajax Amsterdam, à la Roma et à Leipzig, on a besoin de concret sur le plan sportif, pas seulement sur le plan financier.

 

« Et, quand on cible de jeunes Néerlandais de talent, Mino Raiola n'est jamais loin. Mais il n'a pas d'exclusivité sur Nice ! Je le vois régulièrement, comme d'autres. C'est difficile de travailler avec lui car il est dur en affaires et défend les intérêts de ses joueurs et les siens, mais il est très professionnel et tient ses engagements.Pourquoi tant de Néerlandais ? C'est une question d'opportunités, mais également une volonté de gagner du temps : Stengs, Kluivert, Rosario, voire Kasper (Dolberg), passé par l'Ajax Amsterdam, se connaissent. Je ne cherche surtout pas à faire de comparaison, mais la complémentarité de Rijkaard, Gullit et Van Basten a beaucoup profité au grand Milan, comme le Chakhtior Donetsk profite de celle de ses Brésiliens. Il ne s'agit pas de copier-coller, juste de miser sur une entente entre joueurs. »


6 août. Mettre le groupe en tension

 

« Je lis, j'entends que Nice pourrait être la surprise du Championnat. Je comprends le jeu médiatique, mais la distribution des bons et mauvais points en fonction du mercato m'agace ! Il y a un an, on nous annonçait une saison formidable. On gagne, on est portés aux nues ; on perd, on est des tocards. Le jugement immédiat chasse de plus en plus rapidement le précédent. Je me refuse à entrer dans ce jeu. On travaille tous en amont pour réaliser la meilleure saison possible. Le constat du précédent Championnat a été vite fait : oui, on avait beaucoup de bons joueurs dans notre effectif, mais on n'a pas réussi à en faire une équipe. Et ça, ce n'est pas acceptable. C'est une responsabilité collective, celle de Patrick (Vieira), la mienne. On a voulu un entraîneur qui met le groupe en tension. On a de bons gars qui ont envie de travailler, mais il faut aussi parfois savoir leur rentrer dedans. Et Christophe a cette capacité de faire bouger un groupe, de le secouer, même s'il ne faut pas le réduire à ça. »

 

8 août. Un début frustrant

 

« Je suis comme les joueurs, je ressens une vraie excitation au moment de la reprise. J'ai retrouvé mes habitudes : au stade quatre-vingt-dix minutes avant le coup d'envoi de la rencontre. Puis, je vais dans le vestiaire, où je ne sers à rien mais je me dis que ma place est là. Ensuite, pendant l'échauffement, je discute de choses et d'autres avec le staff et les joueurs suspendus ou blessés. J'aime ces moments, et, en même temps, regarder jouer l'équipe est presque douloureux. Je n'arrive pas à prendre du plaisir. À cause du stress, je vis mal chaque match, je me renferme, peut-être pour me protéger. À l'arrivée, ce match contre Reims (0-0), c'est beaucoup de frustration. »

 

10 août. Melvin, Marcin et... Messi

 

« Messi, Messi, Messi... Dommage pour Melvin (Bard) et Marcin (Bulka), qui auraient mérité un peu plus de lumière pour leur présentation. Mais ils ne peuvent pas lutter comme on ne peut pas lutter sur la durée avec ce PSG. Le dirigeant se félicite de cette arrivée pour le football français, l'amoureux du foot que je suis aurait sans doute un avis plus nuancé. »

 

14 août. Bascule en Nord

 

« On n'avait pas parlé du rendez-vous de Lille avec Christophe. Il ne voulait pas que ce soit son match, même si ça devait bouillonner à l'intérieur. Qu'il arrive si tôt, c'était comme un signe, une façon de basculer définitivement du côté de Nice, même s'il était là et bien là depuis quelques semaines. Il a eu l'hommage de son ancien groupe et du public qui le lui devaient bien. Et le résultat (succès 4-0) pour couronner le tout. On n'a pas vu (Olivier) Létang. Quand son équipe perd, on l'entend rarement. »

 

Dimanche 22 août. Quand la tribune déborde

 

« Le matin du match contre l'OM, un ami est venu me voir pour récupérer des places. Devant ma tête un peu fatiguée, il me dit : "Le mercato est pratiquement terminé, ça sent les vacances." Et le soir... C'est triste et décourageant. Dans le foot, on n'est jamais dans le calme et le confort. Il y avait eu ce premier rendez-vous face à Reims, le public de retour et avec lui le bruit, les clameurs. Ça fait tellement de bien ! Les acteurs ont même peut-être été perturbés après des mois de silence où l'entraîneur pouvait presque téléguider ses joueurs, où, au moindre contact, on entendait le joueur hurler ! Contre l'OM, le stade était à guichets fermés. J'aime ces ambiances un peu électriques. Là, c'est allé bien trop loin à cause de quelques prétendus supporters. On ne travaille pas dans le foot, on ne pratique pas ce sport pour vivre ça ! Bien sûr, la responsabilité du club est engagée et on l'assumera. Mais, pour le club, pour les joueurs, pour moi, ce match, on l'a gagné sur le terrain et je déplore la représentation caricaturale qui a suivi : méchants supporters niçois vs joueurs marseillais. On verra ce que l'enquête conclura (ces propos ont été recueillis avant le verdict de la commission de discipline qui a donné match à rejouer, sur terrain neutre, à huis clos, trois rencontres à huis clos pour Nice, dont une a déjà été purgée contre Bordeaux et deux points de pénalité dont un avec sursis pour le club azuréen). Avec Christophe, dès le lendemain, on a insisté auprès des joueurs pour basculer dans le match de Bordeaux. Il fallait vite se mobiliser sur autre chose et ne pas se laisser engloutir par les polémiques démagogiques. Vu la performance de l'équipe (4-0), le message est bien passé. »

 

Lundi 30 août. Andy dit oui

 

« On a bien travaillé et c'est le résultat de l'investissement de tous, des scouts à la cellule recrutement, de la direction aux actionnaires qui nous font confiance. Jim Ratcliffe, John Reece et Andy Currie (les copropriétaires d'Ineos). On mesure chaque jour la chance que le club a de les avoir. On voulait un effectif de qualité et équilibré, on est parvenus à ce qu'on souhaitait. Des pistes n'ont pas abouti, mais les dossiers sont bien rangés. Logique car, pour chaque poste, on cible trois, voire quatre joueurs pour ne pas se retrouver à la merci d'un club qui profiterait de l'urgence pour imposer ses exigences. Certains essaient de faire monter les enchères parce qu'Ineos et sa puissance financière, c'est de bonne guerre. Mais on ne fait pas n'importe quoi pour autant : si Justin (Kluivert) est en prêt, c'est qu'on a travaillé, négocié ; on a aussi bien vendu avec Lees-Melou, Nsoki, Pelmard, Maolida... Et il y a des opportunités à saisir, comme pour Andy (Delort). On a démarché pour un attaquant supplémentaire depuis le début du mercato, sans succès. On a travaillé pendant trois mois sur un prêt qui n'a pas abouti. Un club nous a proposé un joueur pour 10 M€, trop cher et pas le profil recherché. En fin de mercato, quand les masques tombent, il nous a été proposé libre avec participation au salaire. C'est parfois l'heure de la grande braderie. A priori, le dossier Delort n'était pas dans nos cordes, mais la porte s'est entrouverte quand Andy a manifesté son envie de voir ailleurs et on a mis le pied dedans. Il voulait nous rejoindre. Avec Laurent (Nicollin), ce sont toujours des discussions saines. Il est pragmatique. Il a compris la volonté du joueur de passer un palier, il n'a pas cherché à le retenir. Après, c'est de la négo... Une dernière pour cet été. »