Petit à petit, les Aiglons font leur nid. En fait, ils veulent désormais déployer leurs ailes et se mêler aux meilleurs, dans les plus hautes sphères du football français, comme des grands. Terminé, la modestie, le petit club qui marche à pas feutrés et se fait regarder de haut, voire carrément moqué. L’appétit vient en mangeant. Et après avoir goûté aux joies du top 5 en Ligue 1 quatre fois lors des neuf dernières saisons, dont une troisième place en 2016-2017 - autant d’« anomalies », au vu des moyens du club à l’époque, dixit le président JeanPierre Rivère -, l’OGC Nice en veut plus. Avec un propriétaire comme Ineos, tous les rêves sont permis. Quoique, le géant britannique de la pétrochimie, qui a racheté le club en 2019 contre, dit-on, 100 M€, n’entend pas dépenser sans compter. 113e fortune mondiale, selon le magazine Forbes, Jim Ratcliffe, 68 ans, ne s’en cache pas : « Avec un investissement raisonnable et mesuré, nous voulons faire de Nice un club capable de participer régulièrement aux compétitions européennes. Et, surtout, d’y performer », a-t-il déclaré.
En clair, le Gym ne se pose pas « en rival du PSG », comme l’indique le président Jean-Pierre Rivère au Figaro. « Il n’est pas prévu de dépenser des centaines de millions d’euros. On va essayer de faire les choses intelligemment. Ineos a déjà investi pas mal d’argent. L’objectif est de faire fructifier cet investissement. Jusqu’à maintenant, il fallait vendre nos meilleurs joueurs systématiquement. Désormais, on veut et on peut les garder, les faire progresser ensemble, même s’il y aura desventes. Mais on ne fait pas de trading », martèle le dirigeant niçois de 64 ans, aux commandes depuis 2011, si ce n’est une parenthèse entre janvier et août 2019. « Quand on vendait des joueurs à un club européen moyen hier, on vendra à un grand club ou pas du tout », détaille-t-il, soulignant que ses patrons britanniques sont « des gens qui savent bien que tout projet demande du temps. On a une grande marge de manœuvre. Ils sont à nos côtés, mais pas du tout intrusifs. »
« Nous sommes des privilégiés »
De l’ambition, oui, mais pas de folies en vue. Le message a clairement été passé aux supporteurs niçois, afin d’éviter les fausses joies et les fantasmes de superstars mondiales jouant à l’Allianz Riviera. «Il ne faut pas s’enflammer. On est là pour essayer d’amener le club dans le top 5 et en Europe de façon récurrente. Ineos est là pour cela, mais ce n’est pas un État… Ils sont à nos côtés, et c’est une chance, une opportunité incroyable, parce qu’ils sont là pour longtemps. Si on travaille bien, on récoltera les fruits de ce qui a été semé», souligne Jean-Pierre Rivère. Et d’ajouter : « On a mis des années à mettre les fondations en place. Il ne restait plus que l’ultime étape, trouver l’actionnaire qui peut rester longtemps, qui ne vient pas pour gagner de l’argent, pas pour en perdre non plus, mais pour structurer et développer le club. C’est l’actionnaire parfait. »
Un actionnaire qui aime le sport, ce qui ne gâche rien, comme le prouvent des investissements dans le cyclisme, la voile, le football… C’est toutefois presque un hasard si Jim Ratcliffe a posé ses valises à Nice. Façon de parler. Quand il apprenait l’intérêt d’Ineos pour le football et le projet de Jim Ratcliffe de s’installer… à Monaco, au détour d’un article de presse d’octobre 2018, Jean-Pierre Rivère s’est mis en tête de les sonder. Il était déjà chargé de trouver un nouveau propriétaire à ce moment-là, en accord avec les actionnaires sino-américains qui avaient pris le contrôle deux ans plus tôt. « Quand j’ai compris, malheureusement un peu tard, que ces actionnaires n’étaient pas les bons pour l’avenir de l’OGC Nice, on s’est mis d’accord : je devais me mettre en quête de nouveaux investisseurs, les bons investisseurs pour le club », se souvient le président, qui avait été approché par « énormément de monde ». Selon nos informations, le Fonds public d’investissement d’Arabie saoudite, qui a récemment fait main basse sur Newcastle, en faisait partie.
Pas Ineos, qui n’a pas mordu à l’hameçon au début. Jean-Pierre Rivère et Julien Fournier, directeur du football, ont donc imaginé une manœuvre osée, en quittant le club en janvier 2019 afin de faire bouger les lignes. Pari gagnant. Deux semaines après, les Anglais se manifestaient. Jusqu’à l’épilogue, fin août, après de nombreux rebondissements. « Ça a été long, très long… Mais ils ne se sont pas découragés », salue le président, qui ne se voyait d’ailleurs pas revenir aux affaires. « Je n’avais qu’une obsession : mettre le club entre de bonnes mains », promet-il. Sauf que les frères Ratcliffe n’avaient pas l’intention de se priver de son savoir-faire, ni de celui de Julien Fournier. « Jim et Bob nous ont dit : “On fait le deal si vous restez” », raconte-t-il. Entrepreneur dans l’immobilier, JeanPierre Rivère n’a donc pas hésité, lui qui se dit attaché à l’OGC Nice. « Je considère qu’on a une responsabilité patrimoniale lorsqu’on dirige un club de football, qui appartient à sa ville, à ses supporteurs », estime-t-il encore, ayant, avec d’autres, contribué à renforcer les structures, la crédibilité et le poids de l’OGC Nice dans le paysage du foot français et de ses institutions. Un club né en 1904 et quatre fois champion de France dans les années 1950, mais qui avait du mal à se faire une place au soleil entre le voisin monégasque et l’ombrageux cousin marseillais. Le natif de Condom n’est pourtant pas du genre à se mettre en avant. Tout sauf un intrigant. « Je n’aurais jamais imaginé rester dix ans dans le foot. J’ai beaucoup de chance. Même si ce milieu est difficile, qu’il y a des moments durs, parfois une certaine violence et peu de satisfactions pour beaucoup de travail, diriger un club de foot est une formidable expérience. Nous sommes des privilégiés », jure-til, se prévalant d’une capacité à garder du « recul ». Dieu sait qu’il en a fallu, après le tumulte des dernières semaines, les débordements du public du 22 août, lors du match Nice-OM. Événements qui avaient coûté 3 matchs à huis clos et 1 point au Gym, le président Rivère voyant en prime son image écornée pour avoir défendu ses supporteurs envers et contre tout avant d’admettre que « son » club assumait « une grande part de responsabilité ». L’ambiance a toujours été chaude en terre niçoise, même du temps du vieux Stade du Ray, voire carrément électrique. Là, c’était trop. « Nous avons dépassé une limite qui ne doit plus jamais être franchie », avaient tonné les frères Ratcliffe. « On a refermé la page. J’espère juste qu’on n’aura pas à rouvrir le livre en fin de saison en faisant les comptes », glisse Jean-Pierre Rivère.
De multiples actions sociales
Un soubresaut, il faut l’espérer, dans le fil d’une saison que Nice espère fructueuse, sous les ordres d’un certain Christophe Galtier. Une sacrée prise pour Nice, qui n’a jamais été très gourmand en matière d’entraîneurs depuis dix ans. Claude Puel (2012-2016), Lucien Favre (2016-2018) et Patrick Vieira (2018-2020) se sont succédé. « Un coach, c’est la pierre angulaire de tout projet », martèle Jean-Pierre Rivère, convaincu d’avoir dégoté « l’entraîneur qui peut apporter ce dont on pense que l’OGCN a besoin ». Le technicien a tout pour plaire. Si bien que sa venue en a surpris plus d’un. « Passer de la Ligue des champions à Nice peut interpeller, je le comprends. Mais je suis persuadé que c’est le meilleur choix, et cela correspond à ce que je veux faire de ma carrière », avait justifié le coach, qui a mené Lille au titre en 2021.
« C’est toujours très compliqué de trouver le bon entraîneur au bon moment. En football, la difficulté, c’est de garder le cap », explicite le dirigeant niçois, affirmant qu’il est impossible de tracer « un projet linéaire si vous subissez la pression, médiatique, des supporteurs, et que vous naviguez en fonction de cela. L’important, c’est le projet. Il ne faut pas laisser la place à la pression. Sans quoi, vous êtes mort… » Et le Gym est bien vivant. Son projet aussi. Projet sportif, évidemment, mais pas que. « Le rôle d’un club de football, c’est d’avoir des résultats, mais, au-delà, c’est de tendre la main à tous ceux qui sont dans la difficulté, en fonction de nos moyens », note Jean-Pierre Rivère, expliquant avoir connu ses « plus belles émotions » dans les multiples actions sociales de l’OGC Nice, environ 500 à l’année, « presque plus qu’en match ». Le club a également mis en place un programme « pouvoir d’achat », qui permet à ses 12 500 abonnés de rentrer dans leurs frais sous forme de remboursements sur des produits de consommation courante ou par le biais d’optimisation de contrats. « Ceux qui l’utilisent se rendent compte que leur abonnement ne leur coûte rien, se félicite Rivère. Pour nous, c’était important de dire : “Les temps sont difficiles, on est à vos côtés.” On doit aider les gens afin qu’ils puissent continuer à vivre leur passion», relève-t-il, lui qui avait été « touché » par certains messages quand le Gym avait, modestement, au vu des circonstances, contribué à redonner un peu de « fierté » aux Niçois après les tragiques événements terroristes du 14 juillet 2016. « Si on peut donner du bonheur aux gens, c’est important. »
Du bonheur, les Aiglons en ont pris une bonne dose en s’imposant à Rennes (1-2) dimanche dernier. Ils pointent à la quatrième place du classement avant l’ultime journée des matchs aller, mercredi prochain. Le projet est en marche. « Qu’on soit propriétaire, président, actionnaire, on est de passage. Un club, ça reste. Mon seul objectif, c’est de me dire, en partant, et je ne sais pas quand ce sera, qu’on a essayé de bâtir quelque chose de pérenne », explique Jean-Pierre Rivère. Avec un stade et un centre d’entraînement neufs ou presque, un propriétaire solide et un coach de premier plan, les pièces du puzzle sont en place. Et de conclure : « Ce qui nous manque, c’est la dernière étape, le dernier étage : être en haut tout le temps. »