En stage depuis jeudi dans le sud du Portugal, les Niçois perfectionnent les principes de jeu que leur inculque Lucien Favre. Nous les avons suivis pendant quatre jours.
CARVOEIRO (PORTUGAL) – C’est dans un drôle de coin où l’on ne croise que des Anglais et des Allemands, de préférence torse nu et rosés par le soleil pris au bord d’une piscine, que les Niçois ont élu domicile durant dix jours : l’Algarve, dans le sud de la péninsule ibérique, où maîtriser le portugais ne semble d’aucune utilité tant la clientèle étrangère rythme la vie locale.
Trois semaines après le retour de Lucien Favre sur le banc niçois, c’est l’occasion pour l’entraîneur de travailler sereinement ses idées de jeu. Le technicien n’est certes pas du genre volcanique. Il en a d’ailleurs surpris certains, Andy Delort en tête. L’attaquant se fait un plaisir de raconter son premier aparté avec le Suisse. «Ilm’a dit: “Comment vous sentez-vous?” Je pensais qu’il me parlait en tant que cadre, donc je lui ai répondu que le groupe se sentait bien… Il me dit: “Non, je parle de vous, M. Delort”.»
Si Favre peut enfin façonner son équipe, c’est parce qu’il dispose pour ce stage d’un terrain convenable. Rien d’extraordinaire : une pelouse entourée d’une piste d’athlétisme neuve dans un stade surdimensionné pour une ville dont on n’a pas vu dix habitants en quatre jours. Sauf que les terrains du centre d’entraînement du Gym avaient pris un sérieux coup de chaud au début de l’été, au point que le premier match de leur préparation avait dû être annulé.
À Carvoeiro, une station balnéaire située à 60km de Faro, les Niçois ont tout pour être bien. Ils sont peut-être un peu trop loin de leur lieu d’entraînement, situé à vingt minutes en bus. Mais ils n’ont « aucune inquiétude sur la météo», comme l’explique leur préparateur physique Eduardo Parra Garcia. «Il fait chaud, mais il y a du vent frais, décrit l’Espagnol. Tu peux placer les séances quand tu veux dans la journée.» Le cadre est celui d’un stage habituel d’une équipe de Ligue 1: un hôtel 5 étoiles où l’AS Rome de José Mourinho avait élu domicile l’été dernier. Une aile de l’établissement a été réservée aux 53 personnes de la délégation niçoise. Du bijou de vélo de Dave Brailsford, le directeur sportif d’Ineos, à la floqueuse pouvant préparer des maillots aux éventuelles recrues en vue des matches amicaux, il ne manque rien. Et sûrement pas une salle de détente pour les joueurs.
Ping-pong, poker et Netflix
Samedi, après deux jours, Jean-Clair Todibo n’avait pas encore trouvé de pongiste à sa mesure. Le même jour, Dante nous dévoilait, presque gêné, sa lecture du moment: la Pyramide du succès, de John Wooden, un ancien entraîneur de basket (aux 10 titres NCAA). Le Brésilien délaisse le billard et la table de ping-pong, mais pas la table de poker. «Ilme faut toujours de la réflexion, sourit-il. Je suis dans les calculs, tout le temps. Au poker, Morgan (Schneiderlin) est pas mal. Mario (Lemina), il calcule beaucoup trop. (Youcef) Atal, il est un peu trop agressif.» Quelques heures plus tard, c’est pourtant l’Algérien qui remportera la partie.
Delort a mis trois jours pour pousser la porte de la salle. «Je préfère me reposer, souffle l’attaquant. J’ai deux “animaux” à la maison. Donc, ici, je “saigne” Netflix.» Il n’oublie pas d’allumer les gardiens à l’entraînement. Samedi matin, sans qu’il s’en soit rendu compte, l’un de ses coups de pétards de début de séance a manqué d’éborgner le solide Marcin Bulka (1,99m), qui regardait ailleurs. «Mais il aime ça, il est fou complet, assure Delort. Bon, c’est vrai que la saison dernière j’avais mis un K.-O. au jeune Teddy (Boulhendi, actuel deuxième gardien). J’avais eu peur. Il avait eu dix jours d’ITT.»
Samedi soir, en toute fin de match face à Fulham, en amical, Delort est sorti légèrement touché à une cuisse. Le joueur n’a pas pu prendre part à la série de tirs au but qui a conclu la soirée malgré la défaite 2-0.
La veille, le Gym avait déjà dû se prêter à l’exercice alors qu’il venait de s’incliner 3-0 face au Benfica. «Ces tirs au but, je n’ai pas compris », avoue Todibo qui n’avait pas eu connaissance du subtil règlement du tournoi mettant aux prises les trois clubs: ces penalties devaient départager les équipes en cas d’égalité finale. «On ne se prend pas la tête avec le résultat, on se met en place tranquillement, rassure le défenseur. Il manque aussi des joueurs… On va rectifier. La prépa, c’est fait pourça.»
Elle permet surtout d’assimiler les principes prônés par Lucien Favre. À écouter le technicien suisse, ce ne sont que des choses simples. «On travaille l’intelligence de jeu, mais il y en a beaucoup qui l’ont déjà, précise l’entraîneur. Défensivement, on demande de boucher les angles de passes, avec le pied gauche, avec le pied droit ; d’éviter les centres ou les passes dans les intervalles; de bien coulisser. Il faut aussi se parler. Ce matin (hier), on fait un 4 contre 6, puis un 6 contre 8, avec la défense en infériorité numérique.»
Lors de la séance, toujours au plus près de ses joueurs, Favre multiplie les injonctions: «Amine, propose! […] Passe dans le dos! […] Cadre-le! […]» Au bord du terrain, Dave Brailsford observe un calepin dans une main, le téléphone dans l’autre. En papa poule, Favre s’enquiert du moindre coup reçu. Il s’adresse à Khephren Thuram, de retour de Covid et presque étonné par la question : « Vous n’avez pas de problèmes respiratoires?» Après une heure quarante d’entraînement, certains cherchent bien leur second souffle. « Ça doit déjà être l’heure du dîner!», lâche Todibo. «Ils ne s’attendaient peut-être pas à ça », s’amuse Favre qui, dans un murmure, s’en excuserait presque : «Il faut savoir ce qu’on veut…»
Cette fois, la séance ne s’est pas terminée par des gammes. «Des répétitions», préfère dire le Suisse. Cela peut être quelques minutes de transversales, des séries de jongles… « On travaille quand même beaucoup la technique, admet l’entraîneur. L’équipe est relativement jeune, c’est normal de perfectionner la maîtrise du ballon. Il faut être à l’aise, peu importe la façon dont tu le reçois.» «Si faire un stage avec Lucien Favre est particulier? Pas spécialement», poursuit Dante. Puis le Brésilien se ravise. « La seule chose qui change, c’est qu’il nous fatigue de ballons. Avec lui, c’est ballon, ballon, ballon, ballon… Tu te demandes jusqu’où il va aller. Il veut aussi des courses, c’est sûr, mais le ballon, c’est la chose la plus importante pour lui, et les joueurs aiment.» Le public niçois a hâte de voir ça.
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